Cette fiche a pour objectif de proposer quelques méthodes d'enseignement des valeurs.
Les sapeurs-pompiers.
« Traité des valeurs à l'usage des sapeurs-pompiers », Colonel Bruno BEAUSSE, Les Presses de l'ENSOSP.
C’était la question assez logique à laquelle il me restait à répondre. En effet, je pourrais noircir des pages à démontrer toute l’importance des valeurs et de leur enseignement mais ce petit précis serait incomplet si je ne tentais pas d’expliquer la manière d’enseigner celles-ci.
Nous aurions pu choisir le bon vieux cours magistral tel que nos universités en ont le secret depuis des siècles avec d’un côté, le sachant, empli de savoirs, de certitudes, et surtout protégé de toutes interactions avec la salle qui pourraient le mettre en danger ; et de l’autre, les absorbeurs de savoir dont nous devinons aisément à leur mine, l’envie folle de se trouver ailleurs.
Si à cela vous rajoutez le fait que nos stagiaires, jeunes pousses pleines d’énergie, sont plus enclins à préférer des manœuvres sur notre plateau technique que d’être assis sur des chaises, quelles que soient la nature du cours et la valeur de l’intervenant (ayant été, en un autre temps, à leur place, je les comprends parfaitement), alors si en plus la nature du cours reste extrêmement conceptuel, théorique et avec un risque de moralisation, il nous fallait réfléchir avec acuité aux meilleures manières de transmettre cet enseignement.
L’une des premières conditions à la réussite de notre entreprise a été de placer les valeurs au centre de la mise en place de notre nouvelle école, c’est-à-dire de considérer qu’il ne pouvait pas y avoir de construction d’une grande école sans faire des valeurs le socle inébranlable de la construction.
C’est ainsi que la réflexion sur les valeurs a été la première démarche qui fut lancée lors de l’élaboration du projet d’établissement. Derrière cette dynamique, et au-delà d’une simple volonté d’affichage, ce qui était recherché était de placer les valeurs au cœur des postures de chacun des acteurs de l’école. Dès lors, la direction était donnée et celle-ci n’a jamais vraiment cessé d’être suivie.
La seconde condition de cette réussite fut de considérer que l’approche par les valeurs ne devait être une démarche univoque, mais qu’il nous fallait bien plutôt envisager un polymorphisme dans les approches et c’est ainsi qu’un certain nombre de démarches ont été initiées, qui avaient pour ambition d’amener régulièrement chaque officier présent sur le site à se questionner sur le sujet des valeurs.
L’une de ces démarches fut ce je que j’appellerais « l’imprégnation rétinienne », c’est-à-dire qu’un grand nombre de valeurs apparaissent écrites sur les murs de notre école ou encore sur des clous métalliques plantés sur le sol. Cette méthode qui consiste à mettre devant les yeux de toute personne entrant à l’école les valeurs maîtresses de l’établissement a pour but de générer interrogations et discussions.
Cela se rapproche beaucoup de la méthode pédagogique de ceux que nous appelions les hussards de la République ; ces instituteurs complétement imprégnés des valeurs de notre République qui, dès le début de la troisième République, eurent pour mission de transmettre ces valeurs à l’ensemble des petites têtes blondes du pays, en inscrivant chaque semaine une phrase de morale républicaine sur le tableau noir. N’étant personnellement pas encore d’un âge si avancé que cela, je me souviens encore de ces phrases que nous apprenions par cœur, c’était dans les années 60 !
L’inscription de ces valeurs sur les murs de l’ENSOSP a pour autre but d’afficher une ambition, de définir une orientation et, comme je le disais au départ, de rappeler une posture à avoir : celle de l’officier éthique.
La seconde méthode pédagogique fut ce qui fait l’objet de cet ouvrage, à savoir les valeurs de la semaine. Ces petits textes courts et concis rebondissant sur un évènement particulier de l’établissement ou de la société afin d’en faire une lecture éthique, sorte de répétition hebdomadaire entrant dans un rituel bien installé.
Je me suis laissé dire que certains de nos jeunes stagiaires faisaient entre eux et chaque semaine avant la cérémonie du lundi matin, un pari sur la valeur qui allait être lue par le directeur. La démarche est très intéressante et montre, par l’intérêt certes railleur qui portent nos jeunes officiers, combien finalement cette valeur de la semaine fait parler et ne passe pas inaperçue.
En fait, même si au-delà de l’écoute nécessaire pendant la lecture du directeur de l’école nationale, cette valeur occupe chacun quelques minutes supplémentaires à sa propre réflexion, l’objectif est atteint. C’est la rigueur dans l’exercice de ce rituel, la forme courte et appliquée à la vie de tous les jours et l’installation dans la durée de cette démarche qui fera que l’interrogation sur les valeurs s’installera peu à peu dans l’esprit de nos stagiaires. J’ai d’ailleurs été plusieurs fois sollicité par certains stagiaires rentrés dans leur SDIS pour des conseils car ils envisageaient de mettre en place une logique équivalente dans leur structure.
Les cours magistraux existent également mais ils sont plus réalisés de manière interactive de sorte à générer la question. En ce qui me concerne, je les associe volontiers avec une première partie historique ce qui me permet de donner du sens aux valeurs en les replaçant dans le contexte de l’histoire des sapeurs-pompiers. Pour autant, il ne faut, malgré tout, pas hésiter à exposer de manière magistrale les données théoriques sur la construction de la pensée sociale ce qui permet de définir en quoi les valeurs sont importantes dans la construction d’un individu ou d’un collectif fort.
La méthode dite « du café philo » est intéressante ; elle a déjà été employée dans l’établissement et à l’école de Saint-Cyr Coêtquidan. Cette méthode est largement utilisée. Elle permet l’échange de petits groupes avec un sachant et cela élimine le formalisme habituel de ce type de rapport entre stagiaires et intervenant.
Une autre méthode que nous utilisons de manière systématique avec l’ensemble des promotions de jeunes lieutenants qui entrent à l’Ecole Nationale, est la visite du Camp des Milles qui est un ancien camp d’internement de la 2nde guerre mondiale et qui a créé un musée avec une sorte de parcours éducatif autour de la résistance individuelle et collective aux autoritarismes qui pousseraient les peuples aux pires extrémités.
Ce parcours interpelle, et c’est d’ailleurs à la suite immédiate de ce parcours que sont organisés, soit un café philosophique autour de ce sujet des valeurs et de la résistance, soit une conférence en soirée sur le même sujet.
Mais rien jamais en la matière ne remplacera l’exemplarité et l’Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Sapeurs-Pompiers doit être avant tout le lieu de l’exemplarité en matière de valeurs. Ce doit être le lieu où à tout moment les valeurs doivent être incarnées tout d’abord par les officiers qui travaillent à l’ENSOSP, mais également par l’ensemble des autres cadres de l’école nationale et par les intervenants extérieurs à l’école qui, lors de leur passage, portent l’image de notre établissement.
L’ENSOSP doit être le lieu de l’incarnation des valeurs de la profession. L’école nationale est, en effet, le passage obligatoire de tous les officiers de France. Elle est le creuset des nouvelles générations qui croisent là, l’espace de quelques semaines, des générations plus anciennes qui viennent en formation de maintien des acquis ou en formations spécialisées. L’exigence doit donc être extrême sur le savoir-être des formateurs et des officiers travaillant à l’ENSOSP.