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Chaire UTT - ENSOSP

La Chaire Gestion des crises - Un engagement dans la proximité

28/11/17

Créée depuis désormais quelques mois, la Chaire UTT-ENSOSP sur la gestion des crises de proximité connaît un développement conséquent ces dernières semaines avec notamment un passage remarqué au Salon des maires 2017.

Mais de quoi s'agit-il exactement ?
Quel concepts cette Chaire convoque-t-elle ?
Quel défis opérationnels et scientifiques lui appartient-il de relever ?

Autant de questions auxquelles certains de ses artisans se proposent de répondre dans l'article qui suit.
Cet article sera repris dans le numéro 18 de la revue Perspectives, à côté d'une étude sur la ruralité, la gestion de crise et la préparation des élus de proximité dans ces territoires.

Le jeudi 9 mars, le Contrôleur général Hervé ENARD directeur de l’ENSOSP et monsieur Pierre KOCH directeur de l’Université de Technologie de Troyes, ont signé un contrat de partenariat portant création de la Chaire Gestion des crises-Un engagement dans la proximité. Cette signature pérennise une collaboration engagée depuis 2012 à travers le master commun  Ingénierie et Management en Sécurité Globale Appliquée option Gestion des crises de sécurité globale.

Cet article présentera dans un premier temps le concept central de cette chaire : l’engagement dans la proximité. En effet, si on devait caractériser une crise, on pourrait la définir en deux mots, la rupture et la minute d’après ! Or, l’engagement dans la proximité est présent dès la minute d’après. Dans les premiers instants de la catastrophe, les populations, victimes, sont les premiers maillons de la chaîne de secours et de solidarité. Les élus locaux et les sapeurs-pompiers, de par leur maillage territorial et l’engagement citoyen qu’ils incarnent, constituent les acteurs majeurs de cette proximité. Dans un deuxième temps, l’article mettra en avant le contexte d’émergence de cette chaire. En réalisant une revue de l’évolution des concepts structurant la sécurité, cette partie présentera la place centrale de la sécurité civile dans la sécurité globale. Enfin, une dernière partie permettra d’ouvrir la réflexion sur les orientations suivies par la chaire Gestion des crises : Un engagement dans la proximité.

 

La gestion des crises : Un engagement dans la proximité

La proximité et l’engagement citoyen, des enjeux majeurs pour la sécurité civile et un impératif dans la gestion des crises.

L’annexe de la loi du 13 août 2004, fixe les orientations de la politique de sécurité civile, et constitue un document de référence pour en saisir la philosophie. Trois axes sont mis en avant :

  • s’attaquer résolument aux risques en les anticipant davantage,
  • refonder la protection des populations,
  • mobiliser tous les moyens en encourageant les solidarités.

Le premier axe, faisant le constat de la multiplicité et  de la complexité de la gestion des risques, insiste sur leurs compréhensions dans une approche holistique, pluridisciplinaire et pluri partenaire. Il appelle à une rénovation de la planification opérationnelle (simplification et évolution de la doctrine ORSEC) devant la multiplicité des plans de secours. Enfin, il met en avant la nécessité de mener des exercices de sécurité civile en grandeur réelle, en y associant directement le public, ceci pour sensibiliser les citoyens et les préparer aux catastrophes.

Le second axe affirme la place du citoyen au cœur de la sécurité civile, selon deux approches. La première approche concerne l’information et la sensibilisation des populations. Celles-ci « sont indispensables pour prévenir la panique et la rupture du lien de confiance entre les citoyens et les autorités en charge de leur protection ». La seconde approche concerne l’application du principe de solidarité demandant l’investissement collectif dans la prévention, la gestion de crise et de l’après-crise. Cette mobilisation collective « doit être organisée, de façon prioritaire, au niveau local, et complétée par des moyens disponibles au niveau national. Cet engagement de tous se conçoit dans un contexte de proximité, en particulier au niveau communal. Un plan très pragmatique peut être établi, traduisant l’engagement de tous et matérialisant une culture partagée de sécurité […] Son élaboration est l’occasion d’une concertation entre les pouvoirs publics et les habitants sur la prévention des risques et la protection des populations ».

La prise en compte de ces enjeux se retrouve également dans le projet d’établissement des SDIS (avec des services tels que le groupement citoyenneté du SDIS 06 ou encore le groupement des territoires du SDIS 55) et dans les réflexions engagées à l’ENSOSP[1].

Parallèlement, l’engagement dans la proximité traduit une tendance forte dans la gestion contemporaine des situations de crise. Ceci dans la mesure où les premiers acteurs participant à la résolution d’une situation de crise sont les acteurs de terrain. Ainsi, dès la minute qui suit une catastrophe, les populations, victimes, sont renforcées par les premiers acteurs professionnels, les sapeurs-pompiers. Forts de leur maillage territorial de proximité, ce premier maillon constitue un atout majeur dans l’engagement solidaire. La réponse forte d’une proximité face aux situations de crise, s’inscrit alors dans un triptyque relationnel / temporel / spatial :

  • la proximité relationnelle : la proximité du lien social entre individus permet de démultiplier l’action collective. Cela passe notamment par les réseaux professionnels ou privés et par des échanges physiques ou numériques ;
  • la proximité temporelle : elle correspond à la rapidité d’intervention avec un temps incompressible nécessaire à la réactivité et à la montée en puissance des secours mettant en lumière le citoyen, acteur immédiat, au cœur du dispositif de sécurité civile ;
  • la proximité spatiale : les notions de territoire[2] et de bassin (de risque, de crise,  de vie, de solidarité…) traduisent cette proximité.

Au-delà de ce besoin d’engagement dans la proximité, la création de la chaire s’inscrit également dans le temps long lié à l’évolution des concepts de défense et de sécurité nationale.

 

 

Aux origines de la Chaire

Une évolution de la sécurité en phase avec les mutations du monde contemporain.

Les concepts[3] de défense et de sécurité structurent l’élaboration des dispositifs de protection face aux risques et menaces.

La défense nationale : À la sortie de la seconde guerre mondiale, le contexte géopolitique lié à la confrontation des deux blocs EST/OUEST réorganise la défense nationale[4] en opérant une distinction entre défense militaire et défense non militaire (civile et économique). Ainsi apparaît le concept de défense globale par l’article L 1111-1 du Code de la défense: « La défense a pour objet d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population… ». Ces évolutions sont accompagnées de la création de lieux de réflexion tels que l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), qui en 1948, succède au Collège des hautes études de défense nationale fondé par l’amiral CASTEX en 1936. Cet institut de niveau gouvernemental a alors pour vocation de former de hauts fonctionnaires, civils et militaires, à la préparation et à la conduite de la guerre, dans une vision dépassant le seul cadre militaire.

La sécurité intérieure : La chute du mur de Berlin en 1989 ayant marqué la fin d’un monde bipolaire où les menaces étaient clairement identifiées et maitrisées par la doctrine d’équilibre de la terreur, le concept de fin de l’Histoire (FUKUYAMA, 1992) laissait entrevoir un apaisement des tensions. Néanmoins, à cette absence de conflit majeur succède une multitude de risques et de menaces résultant de la mondialisation. Ainsi, les termes de sécurité intérieure (regroupant la sécurité publique et la sécurité civile) et sécurité économique prennent la place de la défense non militaire. Le ministre de l’intérieur de l’époque, Pierre Joxe, crée alors l’Institut des Hautes Etudes en Sécurité Intérieure (IHESI) afin de « poser le problème de la réflexion, de la recherche, de l’approche scientifique des problèmes de sécurité et de police ».

Du continuum Défense Sécurité à la Sécurité Globale : L’imbrication de ces concepts se matérialise dans la dénomination des documents d’orientation des forces Armées et des structures en charge de ces problématiques. Ainsi, si en 1972 et 1994 le livre sur la défense était centré sur les menaces extérieures, le livre blanc de 2008, à la suite de la suspension de conscription en 1996 et des attentats du 11 septembre 2001 voit apparaitre la sécurité nationale en parallèle de la défense. Plus récemment, le secrétariat général de la défense nationale tirant les conséquences des orientations du Livre blanc de 2008 pour l’organisation des pouvoirs publics s’est transformé en 2010 en secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Service du Premier ministre travaillant en liaison étroite avec la Présidence de la République, le SGDSN assiste le chef du Gouvernement dans l’exercice de ses responsabilités en matière de défense et de sécurité nationale. Ce service a notamment en charge d’organiser la réponse gouvernementale face aux situations de crise. Ce positionnement interministériel des problématiques de défense et de sécurité se retrouve également dans le placement de l’IHEDN sous la tutelle du premier ministre en 1979 et de l’évolution de l’Institut National des Hautes Etudes en Sécurité en Institut Nationale des Hautes Etudes de Sécurité Intérieure en 1989, puis en Institut National des Hautes Etudes en Sécurité et en Justice, établissement public administratif rattaché aux services du premier ministre en 2010. La prise en compte des différentes facettes de la sécurité à travers le concept de sécurité globale se traduit dans le monde scientifique par la création en 2006 par l’Agence Nationale de la Recherche du programme CSOSG (Concepts, Systèmes et Outils pour la Sécurité Globale). L’UTT, de par son expertise, a été choisie comme structure support de ce programme.

L’état de l’art se référant aux enjeux contemporains de la sécurité abordent la question de la sécurité globale, entendue comme la « Faculté d’un État ou d’une collectivité humaine à assurer à l’ensemble de ses membres un niveau minimum de sécurité face à quelque risque ou menace que ce soit et à permettre la pérennité des activités collectives, la protection des hommes et des infrastructures critiques, sans rupture dommageable en cas de catastrophe majeure »[5], notamment en rapport avec la sécurité publique dans un triptyque sécuritaire : urgence, proximité, sûreté (LACLEMENCE, 2005). Peu de travaux portent en revanche sur les autres acteurs de la sécurité notamment civile (PADIOLEAU, 2012). D’une conception centralisée, une approche plus territoriale de la sécurité civile, de ses instruments d’action et de sa gouvernance, est en devenir (GRALEPOIS, 2008). Ceci notamment avec le déploiement des COTRRIM. L’objectif étant de faire évoluer la doctrine des SDACR, circonscrite aux départements, pour mieux intégrer les enjeux de sécurité civile en terme de bassins de risques (Ministère de l'Intérieur, 2015 ; circulaire du 26 mai 2015).

Les mutations de la sécurité civile

Pour protéger les populations civiles face aux catastrophes, la défense passive nait au début des années 30. Elle vise la protection des civils en cas de guerre en mettant en place des services opérationnels composés de volontaires au niveau communal. La défense passive (1938) qui devient défense civile (1944) rejoint le service national de protection civile (1951) qui à son tour deviendra la sécurité civile (1975) dépendant du ministère de l’intérieur. Au sens de la loi N°2001-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, la sécurité civile a pour objet la prévention des risques de toute nature, l'information et l'alerte des populations ainsi que la protection des personnes, des biens et de l'environnement contre les accidents, les sinistres et les catastrophes par la préparation et la mise en œuvre de mesures et de moyens appropriés relevant de l’État, des collectivités territoriales et des autres personnes publiques ou privées. En suivant cette définition, la gestion des situations de crise fait partie intégrante de la sécurité civile. Ce positionnement a été réaffirmé par l’Etat en 2011 à travers la création de la direction général de la sécurité civile et de la gestion des crises.  

La sécurité civile au cœur de la  sécurité globale

Le développement d’une civilisation de l’instant et du mouvement depuis la fin du XXe siècle soumet nos sociétés modernes à de nouveaux modes de fonctionnement évolutifs et rapides. Ceci d’autant plus que la population est aspirée dans une dépendance à l’égard des différents réseaux, notamment de transport, de communications électroniques ou d’énergie. Dans ce monde toujours plus rapide, les nouveaux défis sociétaux sont de plus en plus complexes à aborder et nécessitent une approche globale.  Dans ce cycle de vie en constante mutation,  les décideurs sont contraints de gérer l’imprévu de façon quasi-instantanée pour réduire les effets des situations de crise. Les crises sont à intégrer dans notre réflexion au quotidien car elles menacent la survie des organisations et portent atteinte à leur image. Ceci d’autant plus que face à ce type d’évènement, la population fait part d’une attente croissante envers les autorités et les entreprises. Cette attente concerne à la fois la rapidité et transparence de la communication mais également l’efficacité de la réponse des secours. La nature protéiforme des crises contemporaines nécessite alors une approche stratégique globale. Prenons l’exemple de la crise « Tuerie de masse ». Elle constitue tout d’abord une crise de sécurité intérieure sous la direction d’un directeur des opérations de police ou de gendarmerie, puis une crise de sécurité civile sous le commandement opérationnel du COS et enfin, une crise sanitaire où le DSM fera le lien avec le monde hospitalier. Au-delà de l’évolution des doctrines et de l’apparition des forces menantes et concourantes, les cadres de la sécurité civile que sont les officiers sapeurs-pompiers ont depuis 2012 l’opportunité de se former au management des situations de crise[6].  Il s’agit, pour le niveau stratégique d’être en capacité d’appréhender au mieux la situation, de manière à prendre en compte tous les aspects de la sécurité et suppose une préparation proactive de tous, pour une réponse de sécurité globale et partagée.

Enfin, par ses 246900 sapeurs-pompiers dont 80 % de volontaires, ses 28000 jeunes sapeurs-pompiers et ses 70000 bénévoles des associations agréées, la sécurité civile, en complémentarité des 26000 réservistes opérationnels de la Gendarmerie Nationale[7], constitue le fer de lance de l’engagement citoyen au service de la sécurité. Cet engagement dans la proximité, peu mémorisé au quotidien, montre sa force et la résilience de la Nation dans les situations de crise.  

La Chaire Gestion des crises-Un engagement dans la proximité

La gestion des crises dans la proximité, un sujet porteur de réflexions scientifiques actuelles et prospectives.

De nombreux travaux de recherche récents soulignent l’importance de l’échelon de proximité dans le traitement des crises de sécurité civile, que cela soit au niveau des collectivités locales (GRALEPOIS, 2008), (projet de recherche OPTIC et RPM)[8], (BLAY, 2012), (OLDER, 2012 en cours), (AHUIR, 2013 en cours) ou départementales (GILBERT, 1995) (HAIDAR, 2013). Ces travaux concernent les contours et limites d’une approche territoriale de la prévention et de gestion des risques, la proposition d’outils d’appui et de coordination pour le traitement local des crises, l’appropriation de cette thématique par les élus ainsi que le rôle des préfets de département dans la sécurité civile. D’autres travaux abordent également l’interface entre l’expertise et la prise de décision dans le domaine de la sécurité civile, ceci au niveau départemental sur la thématique NRBCE (BENARAME, 2015). Les questions de l’apprentissage organisationnel et individuel face aux situations de crise constituent également des enjeux pour la recherche (ROUX-DUFORT, 1998). Les problématiques de coordination des acteurs (GENEPY, ANR, 2015), de la confiance qu’ils s’accordent (FOULQUIER, 2013), de la participation des populations à la sécurité civile (MURPHY, 2005), (OBERJE, 2007), (FOURNIER, 2007) sont misent en avant dans la littérature et les projets de recherche. Ces questionnements sont en phase avec les évolutions de la sécurité civile française[9], notamment dans l’expérimentation des Contrats Territoriaux de Réponses aux Risques et Menaces. Au niveau national et international, plusieurs centres de recherche travaillent sur les situations de crises, principalement sur le domaine de la gestion des désastres et du développement de la résilience des communautés[10]. Les thématiques traitées s’attachent à la gestion de crise en milieu urbain (notamment dans le programme de recherche EURIDICE ou encore le projet de recherche DESCARTES), à la modélisation, simulation et formation aux situations de crise catastrophiques (Projets de recherche Français ICRISIS et SIMPETRA, projets de recherche européens VASCO, PANDORRA, INDIGO et DARWIN). Cependant, en dehors de la mobilisation du concept de résilience communautaire[11], peu adapté au contexte français, assez peu de projets de recherche et de laboratoires s’intéressent à la gestion de crise, par l’axe « proximité ». Ceci particulièrement dans son articulation dans la gouvernance multi-niveaux de la gestion des risques et des crises. Ce constat nécessite d’identifier les verrous existants afin de proposer des orientations opérationnelles et scientifiques adéquates.

Des verrous scientifiques et opérationnels à lever.

En France, la gestion des risques majeurs est partagée entre ce qui relève de la prévention (le temps ordinaire) et ce qui relève de la gestion de crise (DECROCQ, 2004),  (QUENAULT, 2013), (REGHEZZA-ZITT, M., & RUFAT, S, 2015).  Les acteurs, les compétences, les cultures, les cadres réglementaires : tout distingue les deux domaines. La survenue de la crise signait l'échec de l'action préventive, dont les acteurs se retirent pour laisser place aux « gestionnaires des urgences » qui rétablissent la situation et permettent le « retour à la normale » et, subséquemment, la réapparition sur la scène des « préventeurs ». De plus, PECAUD (2010) remarque que la prévention des risques et des crises est parfois en dispute entre l’ingénierie et les sciences humaines. Etant donné que la sécurité est appréhendée par les français comme un droit, l’Etat et ses représentants sont considérés comme les garants de ce droit. DOURLENS et al (1991) notent ainsi : « Qu’on l’envisage sous l’angle de la protection et de la prévention ou bien sous l’angle de la réparation, la sécurité semble être aujourd’hui perçue comme un droit. Nous attendons de l’Etat qu’il assure la sauvegarde des biens et des personnes ; qu’il prescrive des réglementations susceptibles de prévenir les événements dommageables et qu’il envisage des actions dans ce sens… ».

Cette considération culturelle est source d’une relative méfiance envers les acteurs à la marge de la gouvernance des risques majeurs, notamment le citoyen.  Un paradoxe apparaît ici : intégrer des acteurs « incertains »[12] (le citoyen et ses groupements, les élus locaux) dans un processus de gouvernance des risques majeurs se voulant maîtrisé. Au-delà de ce partage de fonction entre opérationnelles, les études sur les crises souffrent d’une discontinuité entre temps ordinaire et temps de turbulence. Selon le sénateur KELLER (2012) : « L’époque ne prête pas à la prévision d’évènements catastrophistes. Les besoins sociaux relayés par la presse sont des besoins immédiats : ils répondent à des peurs spontanées qui sont rapidement chassées par d’autres peurs ou inquiétudes ». Ce point de vue est renforcé par le déficit de culture du risque des élus constaté dans les rapports d’enquêtes post catastrophe (CALVET F, MANABLE C. 2015), (FERRETI, 2015). L’opérationnalité  et les dysfonctionnements de la planification locale des crises (notamment à travers l’artefact des plans communaux de sauvegarde sont questionnés (GIANNOCCARO, 2013), (GIRARD, 2014). Plusieurs facteurs peuvent expliquer les difficultés liées à la mise en place d’une préparation et d’une gestion locale des crises. Tout d’abord, la faible probabilité d’occurrence d’un risque majeur, les défis associés à la coopération entre les parties prenantes, la fragmentation des responsabilités et les rivalités politiques rendent la préparation face à une crise difficile (MCCONNELL, A., & DRENNAN, L. 2006). PALM et RAMSELL (2007) citent quant à eux les problèmes de distance géographique, de taille des organisations, de culture ainsi que la peur des élus de perdre une part de leur autorité comme éléments venant bloquer la collaboration entre municipalités Suédoise en cas de situation de crise. KOVORR-MISRA (1996) souligne également l’importance des facteurs psychologiques tels que les mécanismes de défense et de croyances négatives comme barrières au changement. Au-delà des problématiques de préparation et de planification inter-organisationnelle lors des situations de crise, les questions des situations opérationnelles partagées et d’ « awareness » informationnel font l’objet de travaux récents (SAOUTAL, 2015).

La recherche à finalité opérationnelle : un engagement dans la proximité.

Les différents travaux réalisés à l’UTT s’inscrivent dans une perspective de recherche à double finalité académique et opérationnelle. Cette démarche favorise les interactions entre praticiens, chercheurs et industriels/entreprises. Elle permet ainsi une meilleure compréhension du problème, et contribue ainsi à la résolution du problème social étudié. La recherche est un moyen d’action sur les organisations, elle propose des outils et concepts afin de répondre aux défis de société que doivent surmonter ces structures. L’article présentant le projet de recherche Ruralité Proximité Mobilité sur la préparation des élus ruraux face aux situations de crise met en avant l’engagement des chercheurs dans la proximité. Ceci dans l’objectif à la fois de faire progresser la connaissance scientifique mais aussi de contribuer à améliorer les processus et outils directement utiles dans les territoires.[13] 

 

La Chaire, un espace partagé pour adresser ces verrous et les perspectives de la thématique.

Qu’est-ce qu’une Chaire ? 

 Une chaire, du latin Cathedra : siège à dossier désigne historiquement la tribune destinée à la prédication présente dans les églises ou les temples. Elle désignait également le poste de professeur titulaire dans l’enseignement supérieur. Le terme réapparaît actuellement sous la forme de chaire industrielle ou chaire d’entreprise. Une chaire correspond à une forme de collaboration partenariale entre des universités et des acteurs du monde économique et social.  Elle exprime la volonté des acteurs y participant d’établir un partenariat stratégique sur un sujet porteur. Ceci à travers trois objectifs, la recherche (à travers des projets de recherche et des doctorats), l’enseignement (en faisant évoluer les programmes et en créant des nouveaux parcours de formation), et la valorisation de nouveaux savoirs (par l’organisation de colloques, séminaires, écoles d’été…) sur un thème de recherche précis. Elle prend à minima la forme d’un projet de recherche ou de formation et est financée par un ou plusieurs dons pluriannuels.

La synthèse des problématiques identifiées et l’expertise des équipes de l’UTT / ENSOSP sur la gestion des crises font apparaître des pistes de recherche pour la chaire. Celles-ci sont présentées sous la forme  de thématique et de série de questions relatives à plusieurs enjeux essentiels :

  • La préparation collaborative de tous les acteurs aux situations de crise.

Comment intégrer les citoyens et les organisations dans la préparation face aux situations de crise ?

Quels dispositifs à mettre en place pour susciter la participation de l’ensemble des acteurs aux activités de préparation ?

Les retours d’expériences, dans leurs dimensions participatives et collaboratives peuvent-ils constituer des outils permettant une mémoire et une histoire des situations de crise ?

  • La planification et la coordination inter organisationnelle dans la gestion des crises.

Comment intégrer le management stratégique des situations de crise dans les  organisations ?

Quel cadre définir afin de disposer d’une représentation opérationnelle partagée lors d’une situation de crise ?

Quel positionnement des acteurs de la gestion de crise dans l’appui et l’aide à la décision pour le directeur des opérations de secours ?

 

  • La prise de décision en environnement complexe.

Comment observer et améliorer l’écosystème décisionnel des cellules de crise ?

Comment prendre en compte les limites des outils d’aide à la décision pour la gestion des situations de crise ?

La réflexion sur l’éthique peut-elle constituer une protection pour le décideur ?

  • Les technologies de l’information et des communications au service du management stratégique des situations de crise.

 

Quels usages et quelle gouvernance pour le management stratégique des situations de crise dans les territoires « intelligents » ?

Comment intégrer les mutations sociotechniques (Big Data, objets connectées, voitures autonomes…) dans la gestion des situations de crise ?

 

La dimension juridique de la gestion de crise de proximité.

Les situations de crise induisent des états d’exception juridiques. Et les phases qui les précèdent et qui les suivent soulèvent des interrogations en terme de droit. Dans un monde qui se judiciarise et qui n’accepte plus les fatalités d’une société du risque, les acteurs publics et privés doivent prendre en compte cette dimension dans leurs actions de gestion de crise.  Ainsi, dans les grandes entreprises des « task force » juridique apparaissent et viennent appuyer de leur expertise les cellules de crise.

 Plusieurs interrogations apparaissent alors pour les décideurs et ouvrent des pistes de recherche.

Face aux situations de crise, comment réguler les écarts de temporalité qui existent entre le temps de la prévention et de l’organisation, le temps de l’évènement, le temps médiatique et le temps judiciaire ?

Comment prévenir les risques juridiques et contentieux associés aux situations de crise ?

Quel encadrement juridique pour les espaces ouverts[14], comme par exemple concernant l’auto-engagement des acteurs ou des services ?

Comment intégrer juridiquement les acteurs émergents dans les dispositifs de gestion de crise ?

Existe-t-il un droit à la sécurité ? Existe-t-il un droit au secours ?

 

Devant ces multiples questionnements, la Chaire, par son programme de travail et les activités qu’elle abritera, sera un terrain propice pour répondre collectivement à ces problématiques. Être capable d’anticiper, de se préparer collectivement, et d’agir ensemble face aux évènements constituent les défis à relever. Des avancées en termes de recherche et de formation initiale et continue, quel que soit le secteur d’activité, sont nécessaires. Les modèles d’expertises mobilisés lors de la gestion des crises, doivent s’accompagner d’espaces de réflexions critiques. Fort de cette vision, l’UTT et l’ENSOSP s’engagent ensemble dans la proximité.

 

Bibliographie

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SAOUTAL, A. (2015). Amélioration de l’awareness informationnelle dans la collaboration inter organisations pendant la crise. Thèse de doctorat en Ingénierie Sociotechnique des Connaissances, des Réseaux

SAUZEY, P., PENAU, V., & BECQ-GIRAUDON, M. (2012). Rapport sénatoriale Le bénévolat de sécurité civile Bilan et plan d'action. Paris.

VAISS, P. (2007). Articuler les niveaux territoriaux de l'action publique. La politique de sécurisation du territoire contre les incendies de forêt, Thèse de doctorat en sociologie

Risques infos Bulletin de liaison N°31-juin 2013 Risques majeurs : Quelles participations civiles et citoyennes ?

 

[1] Notamment à travers les mémoires de DDA récents :

  • Les plans communaux de sauvegarde Enjeux opérationnels, économiques et sociétaux pour les services d’incendie et de secours. Mémoire DDA 2016 Lieutenant-colonel Claire KOWALEWSKI.
  • Rôle des SDIS dans l’élaboration des stratégies territoriales de sécurité. Mémoire DDA 2016 Lieutenant-colonel Arnaud FABRE.
  • Les SDIS acteurs de politiques publiques de citoyenneté Prospectives et enjeux. Mémoire DDA 2015 Commandant Michel LECOQ.

[2] Notamment avec l’expérimentation des contrats territoriaux de réponse aux risques et aux effets des menaces ou encore à travers la classification des territoires à risque important d’inondation.

[3] Idée générale et abstraite que se fait l’esprit humain d’un objet de pensée concret ou abstrait, et qui lui permet de rattacher à ce même objet les diverses perceptions qu’il en a, et d’en organiser les connaissances.

[4] Ordonnance N°59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense.

[5] Définition conjointe de l’Institut National des Hautes Études en Sécurité et en Justice et de l’Université de Technologie de Troyes en 2001.              

[6] A travers le master IMSGA en partenariat avec l’UTT

[7] Sources : http://www.pompiers.fr/pompiers/nous-connaitre/personnels et SAUZEY, P., PENAU, V., & BECQ-GIRAUDON, M. (2012). Rapport sénatoriale Le bénévolat de sécurité civile Bilan et plan d'action. Paris

[8] Projet de recherche OPTIC Dispositifs décisionnels et processus Organisationnels fondant une intervention légitime et optimisée des intercommunalité lors des situations d’urgence et des crises Programme Risques Décisions Territoire du MEEDDM. Projet RPM Ruralité Proximité Mobilité financé par la région Champagne Ardenne et réalisé à l’UTT, il porte sur la préparation des élus ruraux face aux situations de crise.

[9] NOR INTK1512505C du 21 mai 2015.

[10] Institut Charles Delaunay UTT ; Centre de recherche sur les risques et les crises Ecole des mines Paris Tech ; Maison des sciences de l’homme Alpes Axe Risques collectifs, vulnérabilités, résiliences ; Programme de recherche EURIDICE Equipe de recherche sur les risques, dispositifs de gestion de crise et des événements majeurs (2015-2017) ; Disaster research center University of Deleware ; Risk Management and Decision Process Center Wharton University of Pennsylvania ; Center for Crisis Management Research and Training CRISMART Swedish Defense University…

[11] Projet européen PEP, DRIVER, DARWIN et OPSIC.

[12] Dans le sens où leurs degrés de participation à la sécurité civile, au-delà des rôles prescrits, ne peuvent être connus en amont d’une situation de crise.

[13] Par exemple la création d’un module d’apprentissage numérique à destination des élus sur la préparation face aux situations de crise.

[14] Espaces correspondant au champ de compétence exceptionnel des services lors des situations exceptionnelles.

Auteurs :

Paul-Henri Richard1, Guillaume Delatour1, Patrick Laclémence1

1Université de Technologie de Troyes.

 

Mohammed Kharraz2, Audrey Morel Senatore2

2Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Sapeurs-Pompiers

Contact : paul_henri.richard@utt.fr

Publié le 28/11/17 à 12:52