Retour d'expérience - Gestion de la confiance - Perception du risque
L’objectif de ce document pédagogique est de fournir un exemple de la recherche dans le domaine des sciences de gestion et de la sociologie des organisations afin de faire émerger des éléments riches d’enseignements pour votre réflexion personnelle. Ces articles vous permettront de bénéficier d’un regard extérieur et analytique pertinent sur l’organisation des secours à laquelle vous appartenez dans la mesure où l’on trouve encore assez peu d’études cliniques sur leur fonctionnement organisationnel.
Ainsi, la lecture de ce document doit vous permettre en premier lieu d’acquérir une connaissance scientifique et suffisamment vulgarisée pour qu’elle soit compréhensible. En vous rendant accessible cette forme de connaissance nous souhaitons également donner un sens au travail réalisé sur le retour d’expérience dans les organisations de secours. Ce document est une analyse comparative des deux articles faisant apparaître l’influence de deux cultures organisationnelles particulières sur les pratiques managériales en situation opérationnelle. Le premier article concerne la confiance au sein des équipes (article de Pascale Auger et Emmanuelle Reynaud). Le second article porte sur la perception du risque par les acteurs de la lutte (article de Matthew Desmond). Ces deux articles vous permettront de constater comment acquérir une plus grande « visibilité » dans l’analyse de ces fondamentaux pour en constater l’existence et en mesurer les conséquences au sein d’une intervention.
Dans le cadre du premier article (Le rôle de la confiance dans la gestion du risque incendie), les auteures ont choisi d’analyser la confiance au sein des organisations de secours en étudiant la juxtaposition entre un management autoritaire et la confiance au sein de la corporation. L’essentiel de cette étude se base sur l’accompagnement en intervention d’acteurs de la lutte appartenant à des casernes du Bataillon de Marins-pompiers de Marseille.
Ainsi, les auteures se sont focalisées sur des études de cas pour l’analyse du travail d’une caserne en intervention. Leur analyse est donc limitée à l’activité d’une caserne (formation et intervention) sans tenir compte de la problématique plus large de la montée en puissance de l’organisation pour l’établissement de la chaîne de commandement. Cette approche offre une vision « micro » centrée sur les relations et le fonctionnement d’un centre de secours.
Les enseignements qui se dégagent de ce travail sont néanmoins très intéressants. Les observations et les investigations des auteures leur ont permis d’identifier quatre niveaux de confiance au sein d’une organisation de secours confrontée au risque incendie (urbain et forestier) :
- Le plus haut niveau mais aussi le plus important concerne la « confiance en soi », autrement dit la capacité des individus à agir en toute sécurité, de manière cohérente et disciplinée (agir en collectif) dans un environnement incertain.
- Le niveau inférieur concerne la « confiance interpersonnelle », autrement dit la confiance mutuelle qui permet la création de liens et la solidarité. A ce niveau, la confiance est synonyme de bienveillance et s’acquiert par la camaraderie, la vie en communauté et le travail d’équipe. Cette confiance facilite la reconnaissance et l’acceptation de l’erreur. Il n’y a pas de jugement puisque chacun se connaît et se respecte.
- Le niveau encore inférieur concerne la « confiance hiérarchique », autrement dit la reconnaissance du statut mais plus encore la légitimité acquise par l’expérience et les compétences détenues par les supérieurs hiérarchiques. Un des grands principes de l’art de la guerre apparaît avec l’instauration de l’ordre par l’autorité et la division des tâches. C’est par ce biais que les émotions sont contenues et la confiance que chacun place dans la compétence de son équipe à tous les niveaux hiérarchiques. Les hommes du rang doivent accomplir les tâches qui leur sont confiées par leurs supérieurs et ne pas les discuter. Ils ont confiance en leur hiérarchie bien qu’ils n’aient qu’une vision imparfaite de la situation globale. Cette confiance est réciproque et se traduit par l’assurance qu’ont les supérieurs dans l’engagement et le respect des actions par leurs subordonnés pour le bon déroulement des opérations. Ainsi la confiance permet de guider le bon comportement des hommes du rang en évitant à la hiérarchie d’opérer des mécanismes de contrôle sur l’exécution des tâches. Leur temps est dédié à la prise de décision et au recueil des informations pour l’anticipation. A leur tour, les hommes du rang font confiance à leur hiérarchie en raison de sa compétence et de la maîtrise qu’elle a de la situation dans sa globalité ou à un niveau plus élevé. Ils se sentent en sécurité pour accomplir leur mission et sont conditionnés (par leur formation) pour une exécution instantanée de leur tâche et non pour réfléchir sur la manière d’envisager leur action.
- Le dernier niveau concerne la « confiance institutionnelle » à travers la légitimité des outils, des modes opératoires (formation, méthodes) et de l’organisation des casernes. La confiance est une valeur institutionnelle pleinement investie par la notion d’intérêt collectif. Dans le système français, elle apparaît comme un des grands principes fondamentaux nécessaire au bon fonctionnement de l’organisation. Elle est vitale au regard des règles collectives qui régissent toute intervention car elle contribue à la création d’un sens commun et à la gestion émotionnelle des acteurs (la confiance représente une garantie pour la survie du système organisationnel).
Outre l’enseignement qu’apporte cet article sur le lien existant entre la confiance et un management autoritaire, on peut noter l’exemplarité en la matière de ce mode d’organisation par rapport à des firmes commerciales et industrielles. La reconnaissance scientifique atteste de la particularité et du bénéfice de ce système au regard de l’incapacité d’autres organisations qui, en situation complexe, se trouvent en proie à cette difficile juxtaposition pour le moins antagoniste. Ce constat met en évidence la capacité des organisations militaires à savoir s’adapter à une variété de situations grâce à la préparation des hommes et à l’expérience acquise par les opérations.
Dans le second article (Des morts incompétents), la perception de l’organisation des secours est radicalement différente avec cette étude sociologique sur la considération du risque feu de forêt aux USA. Cet article a pour objectif de mettre en évidence la manière dont sont conditionnés et façonnés les acteurs de la lutte pour ne pas craindre le danger auquel ils sont régulièrement exposés. Ainsi, les valeurs organisationnelles s’appuient sur des règles de survie que sont les « 10/18 » et qui se révèlent peu applicables en situation selon les acteurs. Néanmoins, l’article nous apprend que ces normes servent d’explications et de justifications lorsque des hommes viennent à mourir en intervention. S’il est vrai qu’un portrait héroïque et flatteur est dressé en leur honneur de manière publique (célébrations pour la famille, reconnaissance de la nation…) ; au sein même de l’organisation, les hommes morts au feu ne sont en rien considérés comme des héros mais plutôt comme des hommes incompétents ou ignorants ayant commis des fautes entraînant leur sort.
Par essence, ces règles institutionnelles constituent un cadre interprétatif collectif par le sens qu’elles donnent aux situations et l’un des principaux arguments mis en avant est l’autoprotection que permet la connaissance de ces fondamentaux. La notion de collectif et d’équipe n’apparaît pas du tout et l’individualité est prônée comme la garantie essentielle de chacun sur sa propre sécurité. Les divers témoignages montrent clairement ce principe de protection personnelle et les valeurs collectives restent relativement transparentes sauf pour la règle institutionnelle des « 10/18 » qui bénéficient d’une reconnaissance unanime en terme de sécurité. La confiance est quasi-inexistante au sein de cette organisation et n’apparaît que sous la forme de la confiance en soi biaisée par l’assurance que le risque n’existe pas dès lors qu’on est intelligent et qu’on a appris les règles de sécurité. Ces règles apparaissent comme une croyance dogmatique permanente que chacun doit savoir et dont la hiérarchie contrôle régulièrement les acquis : « les superviseurs soumettent régulièrement leurs hommes à des tests de connaissances qui portent sur ces fondamentaux, et l’ignorance d’une seule de ces Consignes leur vaut d’être sévèrement réprimandés » (p. 11).
Néanmoins et contrairement à ce que l’on pourrait croire, le mythe du héros est inexistant car les hommes entretiennent la croyance que leur métier n’est pas dangereux à partir du moment où ils savent appliquer les règles et qu’ils les connaissent : « A leurs yeux, il n’y a pas de héros car il n’y a pas de risques » (p. 26). Ils ne se sentent donc pas investis d’une quelconque supériorité liée à leur activité. Pour « faciliter » les choses et donner un sens aux situations, les morts sont considérés comme des incompétents ou des ignorants (au regard du non respect des règles) et des malchanceux (cause religieuse qui est également évoquée). L’explication sur l’incompétence des morts évite la mise en cause des responsabilités dans le commandement et plus que tout, elle permet d’entretenir la croyance fondatrice selon laquelle le métier de pompier n’est pas dangereux et que, seuls, les incompétents et les ignorants meurent. Dans cette organisation, la légitimité s’acquiert non pas par l’expérience mais plutôt par la connaissance des règles institutionnelles. Ainsi, la confiance n’existe pas même vis-à-vis des supérieurs hiérarchiques.
Le rapport évoqué ici renvoie aux origines des jeunes engagés essentiellement issus d’un milieu populaire rural qui les pré-dispose au métier de pompier par l’acquisition d’un savoir-faire technique (capacité à manier une tronçonneuse, à conduire un camion, à se repérer dans des zones forestières…). Selon l’auteur, l’organisation US n’a plus qu’à leur formater l’esprit pour ancrer la croyance que le risque lié à leur métier n’existe pas ou de manière finalement très transparente (le risque est perçu de manière similaire à celui d’autres métiers dans l’industrie ou à des accidents de la vie courante).
Anaïs GAUTIER, Responsable du Laboratoire de Management et de Pilotage des organisations, Centre d’Etudes et de Recherche de la Sécurité Civile (CERISC)
Auger P. et Reynaud E., Le rôle de la confiance dans la gestion du risque incendie, Revue Française de Gestion 2007/175, n°175, p. 155-169.
Desmond M., Des morts incompétents, Actes de la recherche en sciences sociales 2006/4, 165, p.8-27