Ce rapport d'enquête évoque les différentes causes à l'origine de l'accident du Tracker 22 survenu dans la soirée du 2 août à Générac dans le Gard. Il évoque notamment des problématiques humaines et organisationnelles à l'origine de l'accident. Le vendredi 2 août, seulement trois pilotes opérationnels de Tracker sont disponibles à Nîmes. L’un d’entre eux est planifié pour voler exceptionnellement en avion isolé. Le risque d’incendie dans le Gard est très sévère. L’incendie qui s’est déclaré en milieu de journée à Générac est d’une rare violence. Dans l’après-midi, le front de flamme est large. Nourri par des végétaux de différentes natures, il présente plusieurs foyers d’incendie contigus créant une aérologie particulière. Les pilotes méconnaissent les phénomènes dangereux liés à l’aérologie autour d’un feu aussi énergétique, d’autant plus que le partage d’expérience entre les pilotes des différents secteurs est inexistant. Pour lutter contre plusieurs incendie concomitants, l’ensemble des avions bombardiers d’eau est employé. Le Tracker isolé est utilisé en mission de lutte contre le feu de Générac. Il n’est rattaché à aucune noria. Le pilote décolle de Nîmes avec le Tracker 22, encore lourdement chargé de carburant et dont le plein de retardant a été fait « à la lampe ». Cette procédure ne permet pas aux pilotes d’avoir la pleine conscience de la masse de leur avion. Après seulement quelques minutes de vol, le pilote réalise le tour de reconnaissance du feu. L’avion est lourd, sans que le pilote n’en ait vraiment conscience. Alors que l’avion est aux limites du domaine de vol, il est bousculé par une forte ascendance en passant à proximité du front de flammes. L’aile gauche décroche. Le pilote rattrape le décrochage mais il percute les arbres situés au sommet d’une colline dont il n’avait probablement pas perçu le relief. Le cadre de permanence du GASC, en vol pour coordonner l’activité aérienne sur ce feu, ne peut pas jouer le rôle de conseiller technique du COZ sur le choix des avions à envoyer en GAAR ou en lutte. Il n’assure pas la supervision de l’activité aérienne globale.
Les différents points relevés dans la conduite de l'accident sont :
- Un phénomène thermique lié à la forte propagation de l'incendie en pente ascendante qui a provoqué une perturbation de la masse d'air à proximité du front de feu ayant destabilisé l'aéronef en mission de reconnaissance et engagé en "avion isolé"
- Une problématique humaine est abordée avec la pression exercée au sein des différents secteurs. Le pilote souhaitait passer commandant de bord sur Canadair en préparation du retrait de service des Trackers estimé alors en 2022. Sous la pression du groupe (secteur canadair), il a dû renoncer à cette possibilité et se réorienter dans le secteur Trackers en tant que chef de noria. Avant l'accident, il envisageait depuis peu de se ré-orienter dans le secteur Dash, ce dernier nécessitant des compétences externes à la BASC et internationales pour lesquelles les pilotes ne sont pas préparés et pour lesquelles ils redoutent une situation d'échec.
- L'absence de standardisation des formations des pilotes dans les qualifications de "commandant de bord" ne permet pas de connaître avec précision les compétences requises et définies pour ce type de fonction. Elles sont définies à l'appréciation du chef de secteur.
- Lors de son vol, le pilote a eu une charge de travail conséquente en raison de sa position en tant "qu'avion isolé" alors que les Trackers volent en patrouille (leader et ailier) pour conduire leur mission en GAAR (Guet Aérien Armé en Retardant) notamment. Cette configuration en patrouille leur permet un contrôle croisé et une analyse de la situation collective. Cette situation en "avion isolé" était vécue pour la première fois par le pilote et elle ne lui a pas permis de bénéficier de ce double regard impératif à la sécurité des vols. La raison de cette situation est liée au manque d'effectif des pilotes de ce secteur (seuls trois pilotes sont disponibles ce jour là). La mission habituelle du Tracker est la patrouille en GAAR, or la configuration en "avion isolé" implique un engagement opérationnel sur feu établi pour laquelle les pilotes ne sont pas habitués à travailler. Ils interviennent majoritairement dans le cas de feux naissants pour stopper la propagation d'un départ de feu et rarement sur des feux établis. Lors de ce chantier, le pilote avait perçu une habitation dans l'axe de propagation et qu'il souhaitait protéger, conscient que son action serait limitée sur un chantier d'une telle ampleur. Il focalise son attention sur cette action.
- La masse de retardant embarquée dans le Tracker 22 est conséquente et les pilotes de Trackers n'ont pas le moyen de connaître avec précision la masse de produit chargée dans leur aéronef, celle-ci étant aléatoire d'un aéronef à l'autre. La distance entre Nîmes garons et les lieux de l'incendie est très courte. L'absence de cette indication sur la masse embarquée et la succession de vols avec deux aéronefs aux capacités différentes (Tracker 07 puis Tracker 22) ont entraîné un emploi de l'aéronef aux limites de son domaine de vol avec les perturbations causées par l'incendie. A cela, s'ajoute une propagation du feu en pente ascendante sur une colline dont plusieurs arbres présentent une hauteur supérieure à celles d'autres arbres qui constituent cet espace boisé privé. La représentation du pilote est sensiblement restée celle d'un feu en propagation sur un terrain plat et sans relief conformément à la première phase de lutte qu'il a mené avec le Tracker 07. Le faible temps de vol et la forte dégradation de la situation ne lui ont pas permis d'appréhender l'évolution de la situation et ses dangers. L'aéronef est plus lourd.
- Le cadre de permanence du GASC se trouve en vol pour la mission de coordination aérienne, il n'a pas pu assurer son rôle de conseiller technique et de supervision auprès du COZ pour le choix et l'engagement des avions sur le chantier.
- l'ABSENCE DE DEBRIEFING et de PARTAGES d'EXPERIENCES REGULIERS dans les différents secteurs ne permet pas d'apprendre de l'expérience des uns et des autres et d'avoir une meilleure connaissance des erreurs et des difficultés rencontrées en situation opérationnelle. Si il y a une capitalisation de l'expérience individuelle, il n'existe aucun apprentissage collectif des situations permettant à l'organisation de devenir apprenante et de mieux développer sa culture de sécurité.
Plusieurs recommandations sont adressées à la DGSCGC pour éviter la reproduction de ce type d'accident et tirer des enseignements en profondeurs sur les pratiques professionnelles et les relations au sein des secteurs ; la flotte Tracker a été stoppée dans son activité deux ans avant le terme initialement prévu en 2022. Le retour d'expérience doit permettre d'éviter ce type d'accident et ses lourdes conséquences en attirant l'attention sur le fonctionnement des organisations notamment lorsqu'elles se trouvent en mode dégradé.
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