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PRISE ILLEGALE D’INTERET : ACTION CIVILE SYNDICALE ET REFUS D’INFORMER

Chapo
L’action civile des syndicats est recevable dès lors que les faits de prise illégale d’intérêts rendent possible l’existence d’un préjudice, fût-il indirect, aux intérêts moraux de la profession qu’ils représentent, et distinct de celui qu’ont pu subir individuellement les salariés. Par ailleurs, avant de dire qu’il n’y a pas lieu à informer, la juridiction d’instruction doit rechercher la nature des fonctions effectivement exercées par la personne mise en cause pour les faits de prise illégale d’intérêt, y compris si l’intervention du fonctionnaire ne s’inscrit pas dans le processus formalisé des décisions administratives.
Texte

Le délit de prise illégale d’intérêts est prévu et réprimé par les articles 432-12 et 432-13 du code pénal : le premier punit la prise illégale d’intérêts par un agent public en activité, tandis que le second prohibe la prise illégale d’intérêts par un ancien fonctionnaire. Dans cette dernière hypothèse, l’infraction est caractérisée par le fait, pour un ancien fonctionnaire public ou un ancien agent ou préposé d’une administration publique ayant assuré la surveillance ou le contrôle d’une entreprise privée, conclu des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou exprimé son avis sur les opérations effectuées par une entreprise privée, de prendre ou de recevoir une participation dans l’une de ces entreprises avant l’expiration d’un délai de trois ans suivant la cessation de ses fonctions. La nature d’une telle infraction a pu susciter des difficultés, certains auteurs s’étant demandé s’il ne pouvait s’agir d’une infraction dite d’intérêt général (V. Rep. pén., Prise illégale d’intérêts, par M. Segonds). La jurisprudence a cependant apporté une réponse négative à la question, ce que vient confirmer l’arrêt rendu par la chambre criminelle le 27 juin 2012 en rendant recevable l’action civile de divers syndicats en la matière.

En l’espèce, les syndicats des personnels de différentes Caisses d’épargne portent plainte et se constituent partie civile devant le doyen des juges d’instruction du chef de prise illégale d’intérêts à l’encontre du secrétaire général adjoint à la présidence de la République, chargé des affaires financières et industrielles, ce dernier ayant surveillé l’opération de fusion entre plusieurs établissements bancaires, jusqu’à sa nomination aux fonctions de président du directoire de la Caisse nationale des Caisses d’épargne et de directeur général de la Banque fédérale des Banques populaires. Le juge d’instruction estime y avoir lieu à informer, mais sur appel du ministère public, la chambre de l’instruction déclare irrecevables les constitutions de partie civile précitées et dit n’y avoir lieu à suivre contre quiconque, aux motifs que les syndicats n’allégueraient pas un préjudice indirect porté à l’intérêt collectif de la profession, se distinguant du préjudice lui-même indirect qu’auraient pu subir individuellement les salariés de l’entreprise.

La Cour de cassation censure toutefois le raisonnement. Au visa des articles 2 et 3 du code de procédure pénale, de la combinaison desquels il résulte que l’action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage matériel, corporel ou moral directement causé par l’infraction, ainsi que de l’article L. 2132-3 du code du travail, elle rappelle que « les syndicats peuvent agir en justice et exercer les droits réservés à la partie civile pour les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ». La solution est traditionnelle et parfaitement conforme à l’article L. 2132-3 précité, qui dispose que les syndicats « peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ».

La Cour ajoute alors qu’en l’espèce, « les faits de prise illégale d’intérêts dénoncés par les syndicats, à les supposer établis, rendent possible l’existence d’un préjudice, fût-il indirect, aux intérêts moraux de la profession qu’ils représentent, et distinct de celui qu’ont pu subir individuellement les salariés ». C’est qu’en effet, pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d’instruction, « il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’admettre comme possibles l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale » (Crim. 27 mai 2009, Bull. crim. n° 107 ; AJ pénal 2009. 363, obs. C. Duparc ). Le demandeur n’a pas à prouver l’existence du préjudice (Crim. 23 juill. 1974, Bull. crim. n° 263). En outre, un syndicat professionnel n’est recevable à se porter partie civile que pour la défense des intérêts collectifs de la profession qu’il représente (Crim. 23 janv. 2002, Bull. crim. n° 12). Il ne peut pas poursuivre « la réparation du trouble que porte une infraction aux intérêts généraux de la société » (Crim. 22 déc. 1987, Bull. crim. n° 484 ; D. 1988. Somm. 355, obs. J. Pradel) ni agir en justice si le préjudice indirect porté à l’intérêt collectif de la profession « ne se distingue pas du préjudice lui-même indirect qu’auraient pu subir individuellement les salariés d’une entreprise » (Crim. 11 mai 1999, Bull. crim. n° 89 ; TPS 1999. n° 276, obs. Teyssié ; 23 févr. 2005, Dr. soc. 2005. 588, obs. Duquesnes). Or la Cour de cassation n’a pas manqué de vérifier la réunion de telles conditions en l’espèce avant d’admettre la recevabilité de la constitution de partie civile litigieuse s’agissant du délit de prise illégale d’intérêts. La solution n’est d’ailleurs pas inédite en la matière, la Cour ayant déjà eu l’occasion de juger qu’un syndicat d’ingénieurs-conseils était recevable à demander devant la juridiction répressive la réparation du préjudice indirect causé à l’ensemble de la profession qu’il représente par les agissements d’un fonctionnaire municipal s’étant rendu coupable du délit d’ingérence (Crim. 14 juin 1972, Bull. crim. n° 204).

Une autre question est abordée par la chambre criminelle dans l’arrêt rendu le 27 juin 2012 : celle des conditions du refus d’informer opposé par une juridiction d’instruction. À cet égard, l’article 86 du code de procédure pénale précise qu’un tel refus d’informer ne peut intervenir que si, « pour des causes affectant l’action publique elle-même, les faits ne peuvent légalement comporter une poursuite » ; si, « à supposer les faits établis, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale » ; ou « dans le cas où il est établi de façon manifeste, le cas échéant au vu des investigations qui ont pu être réalisées à la suite du dépôt de la plainte, que les faits dénoncés par la partie civile n’ont pas été commis ». À défaut, la juridiction d’instruction régulièrement saisie d’une plainte avec constitution de partie civile a le devoir d’instruire, quelles que soient les réquisitions du ministère public (Crim. 16 nov. 1999, Bull. crim. n° 259).

C’est ce principe que vient rappeler l’arrêt étudié. En l’espèce, pour infirmer l’ordonnance du juge d’instruction disant y avoir lieu à informer contre l’intéressé du chef de prise illégale d’intérêts, la chambre de l’instruction avait retenu que, « de façon manifeste au regard de la nature de ses fonctions, ce dernier n’est pas intervenu et ne pouvait pas intervenir dans le processus formalisé de prise de décisions administratives relatives à la fusion et à la recapitalisation des établissements bancaires et qu’en conséquence, les investigations envisagées par le juge d’instruction ne sont pas utiles à la manifestation de la vérité ». La chambre criminelle, toutefois, casse et annule la décision, estimant au contraire, au visa des articles 86 et 4 du code de procédure pénale, ainsi que de l’article 431-13 du code pénal, que, « selon le premier de ces textes, la juridiction d’instruction ne peut dire n’y avoir lieu à informer, le cas échéant au vu des investigations réalisées à la suite de la plainte préalablement déposée devant le procureur de la République, conformément à l’article 85 du même code, que s’il est établi de façon manifeste que les faits dénoncés par la partie civile n’ont pas été commis ». La solution n’est pas inédite (Crim. 6 oct. 2009, Bull. crim. n° 164 ; D. 2009. AJ 2554 ; ibid. 2010. 416, note S. Detraz ; AJ pénal 2009. 505, obs. L. Ascensi ; Dr. pénal 2010. Chron. 1, obs. Guérin), et est conforme aux prescriptions de l’article 86 du code de procédure pénale. La Cour en conclut que la chambre de l’instruction aurait dû rechercher la nature des fonctions effectivement exercées par l’intéressé. En effet, il est de jurisprudence constante que le juge d’instruction « doit vérifier la réalité des faits dénoncés et leur qualification pénale éventuelle » (Crim. 11 janv. 2011, Bull. crim. n° 5). Elle ajoute, à cet égard, que « l’article 432-13 du code pénal n’exige pas que l’intervention du fonctionnaire s’inscrive dans le processus formalisé des décisions administratives ». Sa participation peut être de toute nature, permanente comme ponctuelle (Crim. 18 juill. 1984, Bull. crim. n° 262 ; RSC 1985. 291, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire).

par Mélanie Bombled pour Dalloz actualités

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