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Dernière actualité sur la garde à vue (Actualité Dalloz - S. Lavric)

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"Sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l'assistance d'un défenseur".
Texte

>> Crim. 19 oct. 2010, FP-P+B+I+R, n° 10-82.902
>> Crim. 19 oct. 2010, FP-P+B+I+R, n° 10-82.306
>> Crim. 19 oct. 2010, FP-P+B+I+R, n° 10-85.051

Commentaire par S. Lavric :

"Par trois arrêts du 19 octobre 2010, la chambre criminelle, en sa formation plénière, a jugé contraire au droit à un procès équitable, tel que garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, plusieurs dispositions régissant la garde à vue, dont certaines n'avaient pas été touchées par la décision d'inconstitutionnalité du 30 juillet 2010 (Cons. const. 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, Dalloz actualité, 30 août 2010, obs. Lavric) et ne sont, d'ores et déjà, pas appréhendées par le projet de loi présenté, le 13 octobre, par le garde des Sceaux (V. Dalloz actualité, 15 oct. 2010)…
Dans la première affaire (n° 10-82.902), une personne gardée à vue dans le cadre d'une information suivie du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants avait sollicité l'intervention d'un avocat mais la mesure avait pris fin avant l'expiration du délai de soixante-douze heures (art. 63-4, al. 7, c. pr. pén.). Mise en examen, elle présenta une demande d'annulation des actes accomplis au motif qu'elle avait, d'une part, été privée de la possibilité d'accéder au dossier par l'intermédiaire d'un avocat et, d'autre part, qu'elle n'avait pas reçu notification du droit de se taire. Pour rejeter sa requête, la chambre de l'instruction s'était appuyée sur deux éléments : l'absence de mention expresse dans la Convention européenne portant obligation d'une assistance effective et concrète par un avocat de la personne gardée à vue dès la première heure de la mesure et de notification d'un droit de se taire (ce qui revenait à occulter le fait que la Convention est un « instrument vivant » duquel la Cour n'hésite pas, depuis longtemps, à « extraire » des garanties implicites), ainsi que l'absence de condamnation, là encore « expresse », de la France pour ce motif (ce qui revenait, cette fois, à nier l'effet « erga omnes » des décisions rendues à Strasbourg). Elle en avait déduit qu'« en l'état de la jurisprudence, la disposition du droit français prévoyant une intervention différée de l'avocat lorsque le gardé à vue est mis en cause pour des infractions d'une certaine gravité, tels les crimes et délits de trafic de stupéfiants, n'est pas contraire à l'article 6, § 3, de la Convention ». Cette décision est censurée, la chambre criminelle indiquant que « sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l'assistance d'un défenseur ».
Dans les deux autres affaires, la chambre de l'instruction avait accepté l'annulation. Dans la première (n° 10-82.306), l'individu, placé en garde à vue pour des faits de complicité de tentative d'assassinat, s'était entretenu confidentiellement avec son avocat, dès le début de la mesure et au moment de sa prolongation, et avant ses interrogatoires par les services de police ; la chambre de l'instruction avait retenu qu'il avait « bénéficié de la présence d'un avocat mais non de son assistance dans des conditions lui permettant d'organiser sa défense et de préparer avec lui les interrogatoires auxquels cet avocat n'a[vait] pu, en l'état de la législation française, participer ». Dans la seconde (n° 10-85.051), le gardé à vue avait bénéficié de l'assistance d'un avocat, mais seulement à l'issue de la soixante-douzième heure, en application de l'article 706-88. La chambre de l'instruction avait retenu que cette restriction du droit d'être assisté dès le début de la mesure « ne répondait pas à l'exigence d'une raison impérieuse, laquelle ne pouvait découler de la seule nature de l'infraction » (infractions à la législation sur les stupéfiants), également que « l'intéressé, à l'occasion de ses interrogatoires, réalisés, pour l'essentiel, avant l'intervention de son conseil, et, en conséquence, sans préparation avec celui-ci ni information sur son droit de garder le silence, a[vait] été privé de son droit à un procès équitable ». Dans les deux cas, la chambre criminelle estime que la chambre de l'instruction « a fait l'exacte application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ».
Par ces trois arrêts, la haute cour délivre donc son « brevet de conventionnalité » à la garde à vue française, en (im)posant le respect des principes suivants (pour leur rappel et leur première application à la France, V. CEDH 14 oct. 2010, Brusco c. France, n° 1466/07, Dalloz actualité, à paraître) :
- la restriction du droit à l'assistance par un avocat dès le début de la mesure, en application de l'article 706-88 du code de procédure pénale, doit répondre à l'exigence d'une raison impérieuse, laquelle ne peut découler de la seule nature de l'infraction ;
- la personne gardée à vue doit être informée de son droit de garder le silence ;
- elle doit également bénéficier de l'assistance d'un avocat dans des conditions lui permettant d'organiser sa défense et de préparer ses interrogatoires, auxquels l'avocat doit pouvoir assister.
Une fois ces principes énoncés, restait un problème - de taille - à régler : celui de leur application dans le temps. La chambre criminelle contourne la difficulté, emboîtant, en quelque sorte, du pas du Conseil constitutionnel. Elle précise ainsi que chaque arrêt « n'encourt pas l'annulation dès lors que les règles qu'il énonce ne peuvent s'appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en œuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice », et que « ces règles prendront effet lors de l'entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique de la garde à vue, ou, au plus tard, le 1er juillet 2011 ».
La Chancellerie se trouve donc aujourd'hui dans l'obligation de revoir son projet. Réagissant à ces trois arrêts, Michèle Alliot-Marie a indiqué que le texte serait complété par voie d'amendement en ce qui concerne les régimes dérogatoires. Pour le reste, elle a réaffirmé que ces décisions de la chambre criminelle « confortaient » le nouveau dispositif de la garde à vue, s'agissant de la notification du droit au silence, de la présence de l'avocat lors des interrogatoires, et du report possible de la présence de l'avocat par une décision motivée par un magistrat".

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