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Participation aux frais engagés par les services de secours lors d’interventions de déblocage d’ascenseurs

Nom de l'expert
MULATERI
Prénom de l'expert
Julie
Fonction de l'expert
Elève-avocat
Chapo du commentaire
À propos de l'arrêt du Conseil d’Etat du 12 novembre 2015, Société SCHINDLER c/ BMPM
Texte du commentaire

Dans cet arrêt du 12 novembre 2015, le Conseil d’État se prononce sur le contentieux de la participation aux frais engagés par les services de secours lors d’interventions de déblocage d’ascenseurs. La particularité de l’affaire réside dans le fait qu’elle concerne uniquement les interventions du Bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM) dans les conditions spécifiques et dérogatoires fixées dans le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT).

La société Schindler a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler pour excès de pouvoir les articles 1er et 3 d’une délibération du conseil municipal de Marseille qui décidait que les interventions du BMPM pour procéder au déblocage des portes d’une cabine d’ascenseur seront facturées à la société titulaire du contrat de maintenance lorsque cette société n’aura pu assurer elle-même cette intervention dans un délai de trente minutes. La délibération fixait aussi le montant de la somme facturée à 350 euros par intervention.

Par un jugement du 21 février 2012, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à sa demande. Et par un arrêt du 12 mai 2014, la Cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel que la commune de Marseille a formé contre ce jugement.

I.             Principe de gratuité des secours et interventions ascenseurs

1.            La réaffirmation du principe de participation aux frais

A la date des faits, l’article L 1424-42 du CGCT disposait que : « Le service départemental d'incendie et de secours n'est tenu de procéder qu'aux seules interventions qui se rattachent directement à ses missions de service public définies à l'article L. 1424-2. S'il a procédé à des interventions ne se rattachant pas directement à l'exercice de ses missions, il peut demander aux personnes bénéficiaires une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération du conseil d'administration ».

Les missions définies à l’article L 1424-2 sont donc : la prévention et l'évaluation des risques de sécurité civile, la préparation des mesures de sauvegarde et l'organisation des moyens de secours, la protection des personnes, des biens et de l'environnement, les secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation.

S’est donc posée la question de savoir si l’intervention des pompiers visant à désincarcérer des personnes bloquées dans un ascenseur à la suite d’une panne technique se rattache aux missions de l’article L 1424-2 du CGCT.

Une jurisprudence constante estime que les SDIS intervenant pour un ascenseur bloqué pouvaient facturer le cout de l’opération ou du moins demander une participation aux frais au regard des textes susvisés.

La Cour administrative d'appel de Douai a limité la portée du principe de la gratuité lorsqu'elles sont conduites par un service départemental d'incendie et de secours, comme le prévoit l'article L. 1424-42 du même code (CAA Douai, 14 déc. 2004, Service départemental d'incendie et de secours de l'Eure).

Appliquant ces dispositions à des interventions conduites par un SDIS pour désincarcérer des personnes retenues dans des ascenseurs, dont le coût avait été facturé aux sociétés chargées de l'entretien des appareils, la cour a cherché à savoir si cette opération pouvait se rattacher aux missions légales du service. 

La Cour administrative d’appel a donc jugé qu’en l’absence d’une urgence, une intervention qui a pour seul objet la désincarcération d’une personne bloquée dans un ascenseur ne peut être regardée comme se rattachant directement à l’exercice des missions de secours des SDIS.

La CAA de Douai a repris cette solution dans un arrêt du 5 juillet 2005 (CAA de Douai, 5 juill. 2005, Service département d’incendie et de secours de l’Eure c/ Société Otis) en abordant la notion de personnes bénéficiaires. La Cour a considéré que  « les interventions effectuées par un service d’incendie et de secours qui ont pour seul objet la désincarcération des personnes bloquées dans un ascenseur affecté par un défaut de fonctionnement ne peuvent être regardées comme se rattachant directement à l’exercice des missions de prévention des risques de sécurité civile, d’organisation des moyens de secours, de protection des personnes et de secours d’urgence aux accidentés dévolues au service d’incendie et de secours par l’article L 1424-2 du Code général des collectivités territoriales ». Les juges estiment que le SDIS est donc fondé à demander aux personnes bénéficiaires de ces interventions une participation aux frais.

A contrario, la solution serait différente s’il existe une urgence (malaise…) ou si cette urgence apparait après l’appel de la personne bloquée (dégradation de l’état de santé…). Les circonstances restent donc déterminantes.

Or, dans la présente affaire le Conseil d’Etat devait se prononcer sur l’applicabilité de cette solution au BMPM et donc, à la ville de Marseille.

2.            La limitation aux SDIS : carence législative ou mauvaise lecture du juge administratif ?

Le Conseil municipal de Marseille a décidé dans sa délibération du 8 février 2010 que seraient facturées à la société de maintenance d’ascenseurs, au prix forfaitaire de 350 euros par intervention, les interventions du BMPM qui ne pourront être assurées dans un délai de trente minutes par une société titulaire du contrat de maintenance de la cabine, à l’exclusion des interventions relevant des missions des services d’incendie et de secours lorsque les personnes bloquées dans la cabine sont malades ou blessées.

La loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août 2004 attribue au BMPM les mêmes prérogatives qu’à un service départemental d’incendie et de secours.

Sur les missions du BMPM, l’article L2513-3 du CGCT dispose que « Le bataillon de marins-pompiers de Marseille est chargé, sous la direction et d'après les ordres du maire, des secours tant contre les incendies que contre les périls ou accidents de toute nature menaçant la sécurité publique sur le territoire de la commune et dans les ports de Marseille ».

Un décret du Conseil d’Etat du 25 mars 2007 fixe les missions et l’organisation du BMPM.

La particularité du BMPM tient à l’histoire de la ville, c’est une autorité militaire placée sous l’autorité du maire de Marseille.

Le BMPM, unité de la marine nationale, reste, avec la brigade de sapeurs-pompiers de Paris et les centres de première intervention non intégrés dans un SDIS, une exception à la départementalisation des services d’incendie et de secours opérée par la loi du 3 mai 1996 relative aux services d’incendie et de secours.

La singularité de ce service communal d’incendie et de secours se retrouve au travers des dispositions législatives spécifiques dans le CGCT.

En ce qui concerne la participation aux frais, l’article L 1424-49 du Code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable à la date des faits, disposait que «  dans le département des Bouches-du-Rhône, les dispositions du présent chapitre ne s'appliquent pas au service d'incendie et de secours de la commune de Marseille prévu à l'article L. 2513-3, à l'exception des articles L. 1424-3, L. 1424-4, L. 1424-7, L. 1424-8-1 à L. 1424-8-8 et L. 1424-51 ».

L’exception visée par l’article L 1424-49 du CGCT ne renvoie donc pas à l’article L 1424-42 du même code. L’interprétation stricte de ce texte évince donc le Bataillon de marins-pompiers de Marseille du dispositif évoqué. La CAA de Marseille a statué en ce sens en relevant que les dispositions de l’article L 1424-49 ne sont pas applicables au BMPM. La commune de Marseille ne peut donc pas se prévaloir de ces dispositions législatives.

C’est le cœur du problème posé devant le Conseil d’État dans l’arrêt du 12 novembre 2015. Les juges du Conseil d’État vont confirmer la position des juges d’appel et de ce fait confirment aussi l’exacte application du texte.

Le Conseil d’État précise que l’article L 1424-49 du Code général des collectivités territoriales écarte l’application des dispositions de l’article L 1424-42 dans la commune de Marseille, laquelle dispose du Bataillon de marins-pompiers de Marseille. Les juges rajoutent qu’en jugeant que les dispositions précitées de l’article L 1424-42 du CGCT n’étaient pas applicables au Bataillon de marins-pompiers de Marseille, la Cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit.

Si l’interprétation littérale de la combinaison des articles L.1424-42 et L.1424-49 du CGCT ne permet effectivement pas à la commune de Marseille de facturer les interventions du BMPM sous le visa des articles susvisés, cela veut-il pour autant dire que la commune de Marseille ne peut facturer les interventions du BMPM ?

En réalité, les communes pouvaient, bien avant la loi du 3 mai 1996, facturer les interventions de leur service d’incendie et de secours lorsque celles-ci excèdent les besoins normaux dont la commune est chargée de pourvoir à ses frais. Le Conseil d’état, dans son arrêt du 10 août 1918 précise que « N'est pas entaché d'excès de pouvoir l'arrêté par lequel un maire décide que la rémunération des services spéciaux de police et d'incendie, assurés par la municipalité dans les établissements cinématographiques exploités par une société, sera supportée par cette dernière ». 

La loi de 1996 n’a donc pas créé un nouveau droit à la facturation des interventions ne se rattachant pas directement à l’exercice des missions des SDIS mais a étendu aux SDIS la possibilité prétorienne, ouverte de longue date aux communes, de facturer ces interventions.

Si la loi de 1996 était effectivement ambiguë quant à la possibilité pour le BMPM de facturer les interventions sur ascenseurs, c’est finalement la lecture du juge qui la rend préjudiciable pour la ville de Marseille.

Au-delà de savoir si l’article 1424-42 du CGCT était applicable au BMPM, le juge aurait dû s’interroger sur le fait de savoir si l’article 1424-42 du CGCT était la seule base légale de la délibération du 8 février 2010 permettant cette facturation. Une lecture de cette dernière permet de considérer qu’il n’en est rien et que le juge a omis de s’interroger sur ce point. 

Or ces dépenses sont donc supportées par le service. En sus de l’incohérence de la situation, les conséquences financières pour le BMPM ne sont pas négligeables.

L’intervention du législateur était donc devenue nécessaire. La loi du 5 août 2015 clarifie le droit applicable et met un terme à cette inégalité juridique.

 

II.            Le correctif nécessaire apporté par la loi du 5 août 2015

 La particularité de cet arrêt tient à la nuance qui doit être apportée à la solution dégagée par le Conseil d’État au regard de loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. 

Le 2° de l’article 34 de la loi dispose que :

« L’article L. 1424-49 est ainsi modifié :

a) Le I est complété par les mots : «, à l'exception de l'article L. 1424-42, pour l'application duquel les fonctions confiées au conseil d'administration sont assurées par le conseil de Paris réuni en formation de conseil municipal » ;

b) Au premier alinéa du II, après la référence : « L. 1424-8-8 », est insérée la référence : «, L. 1424-42 ».

Au travers de la loi du 7 août 2015, le législateur a pris en compte les disparités de traitement appliquées au BPMP dans les Bouches-du-Rhône en insérant la référence à l’article L 1424-42 du CGCT dans les dispositions de l’article L 1424-49.

Désormais l’article L1424-49 II du Code général des collectivités territoriales, modifié par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 (art. 34) dispose que :

« Dans le département des Bouches-du-Rhône, les dispositions du présent chapitre ne s'appliquent pas au service d'incendie et de secours de la commune de Marseille prévu à l'article L. 2513-3, à l'exception des articles L. 1424-3, L. 1424-4, L. 1424-7, L. 1424-8-1 à L. 1424-8-8, L. 1424-42 et L. 1424-51 ».

Le régime applicable au BMPM est aligné sur celui applicable aux SDIS, le BMPM peut donc demander aux personnes secourues une participation aux frais.

Il conviendra donc d’appliquer le régime juridique tel que prévu par le nouvel article L 1424-49 II du Code général des collectivités territoriales.

Cette solution apparait bien fondée en permettant de clarifier les rapports entre les personnes bénéficiaires, les sociétés de maintenance d’ascenseurs et les Marins-pompiers de Marseille. La consécration législative de la faculté de demander une participation aux frais permet au BMPM de n’intervenir que pour des situations présentant un réel caractère d’urgence ou à défaut d’en demander le remboursement. Les interventions sur ascenseurs liées uniquement à une défaillance technique ne feront plus partie des dépenses exclusives du BMPM. Cela aura un impact non négligeable sur les finances du service et sur la sollicitation parfois abusive des ascensoristes notamment dans certains quartiers de la ville.

Le législateur s’est cependant gardé de pousser plus loin son raisonnement, l’égalité du régime juridique entre le BMPM et les SDIS ne semble pas totalement consacrée.

Une clarification plus poussée du régime juridique aurait sans doute permis de consacrer une égalité juridique entre deux entités qui accomplissent les mêmes missions et aurait permis une meilleure lisibilité des textes applicables.

 

Cette intervention législative s’inscrit aussi dans un débat sur le financement du BMPM à l’aune des modifications apportées par la loi du 5 août 2015. En effet, l’article L2513-5 du CGCT dispose désormais que :

« Les dépenses du bataillon de marins-pompiers et des services y compris la solde et les allocations diverses, le logement et le casernement sont à la charge de la commune de Marseille.

Viennent en atténuation de ces dépenses :

- les remboursements des personnels et matériels mis à disposition en application des II et III de l'article L. 2513-3 ;

- les dotations étatiques de droit commun à l'investissement et au fonctionnement prévues par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur au profit des services départementaux d'incendie et de secours ;

- la participation de la métropole d'Aix-Marseille-Provence ;

- la participation du conseil général des Bouches-du-Rhône.

La commune de Marseille peut en outre recevoir, au titre des missions d'intérêt général effectuées par le bataillon de marins-pompiers de Marseille, des subventions, des fonds de concours, des dotations et des participations, de l'Union européenne, de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics ».

Si dorénavant le contentieux de la participation aux frais de certaines interventions semble clos pour le BMPM, il n’est pas certain que celui de son financement le soit totalement.

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