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Le principe pollueur-payeur comme fondement d’une demande de remboursement des frais d’intervention d’un SDIS suite à un incident de pollution

Nom de l'expert
MULATERI
Prénom de l'expert
Julie
Fonction de l'expert
Elève avocat
Chapo du commentaire
Un SDIS qui est intervenu pour lutter contre un incident de pollution peut-il demander le remboursement des frais d’interventions occasionnés à l’entreprise qui est à l’origine de ce dommage ? C’est précisément à cette question que la CAA de Bordeaux était tenu de répondre dans un arrêt du 29 avril 2016.
Texte du commentaire

Une communauté de communes a confié le marché de remise en état de son réseau routier à une société, la Société SGTP Racaud. Cette dernière s’est fournie pour l’émulsion de bitume auprès d’une autre entreprise qui lui a également fournis une citerne afin de stocker l’émulsion de bitume durant la période des travaux.

Lors d’une opération de transvasement de 29 tonnes d’émulsion de bitume du camion citerne à la citerne de stockage, un déversement accidentel de 18 tonnes d’émulsion a eu lieu.

Le liquide s’est répandu dans l’environnement et notamment dans un ruisseau situé dans le site Natura 2000 de la vallée de l’Autize.

 

Cet incident a nécessité l’intervention du SDIS des Deux-Sèvres pour contenir la pollution du ruisseau.

 

Pour obtenir le remboursement des frais exposés pendant cette intervention, le SDIS a émis un titre de recettes d’un montant de 21 110,04 euros à l’encontre de la Société SGTP Racaud.

 

Cette entreprise a saisi le tribunal administratif de Poitiers d’une demande d’annulation du titre de recettes et de décharge de l’obligation de payer cette somme.

Le tribunal administratif ayant fait droit à la demande de l’entrepreneur de travaux, le SDIS a interjeté appel du jugement.

 

La Cour administrative d’appel (CAA) de Bordeaux est donc amenée à se prononcer sur la faculté des SDIS de solliciter une participation aux frais engagés lors d’une opération ayant pour objet de lutter contre un incident de pollution ou d’en limiter les effets.

 

La CAA considère que cette pollution trouve son origine dans l'exécution d'un chantier de travaux publics qui avait été confié à la société SGTP Racaud en sa qualité d'entrepreneur.

 

Les juges précisent que « le SDIS des Deux-Sèvres était fondé, en application du principe pollueur-payeur, mentionné à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, à mettre à la charge de cette entreprise les frais de son intervention. Dès lors, c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers s'est fondé sur la circonstance que la société SGTP Racaud n'avait pas la qualité de responsable de l'incident au sens de l'article L. 211-5 du code de l'environnement pour annuler le titre exécutoire et décharger ladite société de l'obligation de payer ».

 

Pour la détermination de la personne responsable de l’incident de pollution, les juges d’appel estiment qu’il importe peu que la société SGTP Racaud n’était pas déterminée comme responsable au sens de l’article L 211-5 du Code de l’environnement.

Cette société étant l’entrepreneur des travaux, elle ne peut donc pas être déchargée de son obligation de payer.

 

Puis la Société SGTP Racaud conteste le titre de recettes émis par le SDIS sur le fondement du principe de gratuité des secours.

 

La CAA de Bordeaux rappelle les règles applicables en matière de participation aux frais d’interventions des SDIS issues des articles L 1424-2 et L 1424-42 du Code général des collectivités territoriales (CGCT).

 

Les missions définies à l’article L 1424-2 du CGCT relèvent de la prévention et l'évaluation des risques de sécurité civile, la préparation des mesures de sauvegarde et l'organisation des moyens de secours, la protection des personnes, des biens et de l'environnement, les secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation.

 

Les SDIS doivent supporter la charge financière des interventions relevant des missions d’intérêt général de protection des personnes, des biens et de l’environnement.

 

La référence de l’article L 1224-2 du CGCT aux missions liées à la protection de l’environnement pouvait laisser penser à l’application du principe de gratuité des secours au cas de l’espèce.

C’était d’ailleurs en ce sens que l’entreprise en charge des travaux demandait au tribunal administratif d’annuler le titre de recettes émis par le SDIS.

 

La CAA ne va pas abonder en ce sens et va mettre en exergue le principe pollueur-payeur issu du Code de l’environnement pour rejeter cet argument.

 

En effet, les juges affirment qu’en vertu du principe pollueur-payeur, les SDIS sont fondés à poursuivre le remboursement de sinistres ayant nécessité des interventions destinées à pallier un risque de pollution de l’eau ou à lutter contre les effets d’une telle pollution.

 

De ce fait, l’argument tiré de la méconnaissance du principe de gratuité des interventions du SDIS est inopérant.

 

La Cour administrative d'appel de Bordeaux considère donc qu'un SDIS peut, en application du principe pollueur-payeur, mettre ses frais d'intervention à la charge de l'entreprise responsable d'un incident de pollution.

 

La référence faite à l’article L 110-1 du Code de l’environnement et au principe pollueur-payeur est novatrice.

 

Les juges administratifs avaient eu l’occasion de se prononcer dans une affaire similaire d’intervention d’un SDIS pour un incident de pollution. En effet, dans un arrêt du 3 mai 2011 (n° 1001337, AJDA 2011. 1344), le tribunal administratif de Caen s’était prononcé sur le remboursement des frais engagés par un SDIS pour faire cesser un risque de pollution.

Un SDIS est intervenu pour faire cesser un risque lié à la pollution d'une mare par du fuel provenant d'une installation d’une propriété et a ensuite émis un titre exécutoire mettant à la charge des propriétaires les frais liés à l'intervention sur la base de l’article L 211-5 du Code de l’environnement.

L'article L. 211-5 du code de l'environnement prévoit en effet que, « sans préjudice de l'indemnisation des autres dommages subis, les personnes morales de droit public intervenues matériellement ou financièrement ont droit au remboursement, par la ou les personnes responsables à qui incombe la responsabilité de l'incident ou de l'accident, des frais exposés par elles ».

Le tribunal administratif a estimé que « dès lors que les sapeurs-pompiers étaient intervenus en raison d'un risque de pollution des eaux par des hydrocarbures provenant d'une installation de la propriété, le service départemental d'incendie et de secours de l'Orne était fondé, dans les circonstances de l'espèce, à procéder au recouvrement de ses frais envers les propriétaires sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 211-5 du code de l'environnement ».

 

Les juges administratifs avaient donc décidé que le SDIS pouvait demander le remboursement des frais liés à l’intervention sur la base de l’article L 211-5 du Code de l’environnement.

 

Dans la présente affaire, la CAA de Bordeaux semble pousser encore le raisonnement en consacrant l’applicabilité du principe pollueur-payeur, prévu par le Code de l’environnement, en de telles hypothèses.

 

Le principe pollueur-payeur vise à imputer au pollueur les coûts de la pollution engendrée. Ce principe est devenu une règle avec la loi du 2 février 1995 qui le définit comme un principe selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportées par le pollueur.

 

En effet, l’article L 110-1-II-3° du Code de l’environnement dispose que « Le principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ».

 

Le Code de l’environnement vient compléter les règles édictées par le CGCT et à suivre le raisonnement des juges administratifs, le principe pollueur-payeur semble primer sur le principe de gratuité des secours.

La Cour administrative d’appel parait ainsi éclaircir le régime des demandes en remboursement des frais de secours liés à des incidents de pollution et préciser l’assise juridique des titres exécutoires émis par les SDIS.

 

Dorénavant en application du principe pollueur-payeur, mentionné à l'article L. 110-1 du Code de l'environnement, un service départemental d'incendie et de secours intervenu pour limiter une pollution, peut émettre un titre exécutoire à l'encontre de la personne responsable de l'incident.

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