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L’actualité jurisprudentielle en matière de sécurité civile

Nom de l'expert
Touache
Prénom de l'expert
Alexia
Fonction de l'expert
Elève-avocate - CERISC
Chapo du commentaire
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Texte du commentaire

Présentation :

L’épidémie s’invite jusqu’aux portes des juridictions. Le Conseil d’État a été saisi en urgence par un syndicat de médecins qui a demandé la mise en place d’un confinement total sur l’ensemble du territoire. Cette décision, très attendue et fortement commentée, n’a pas déçu même si la Haute juridiction n’a pas fait droit à la demande.

Par ailleurs, le Conseil d’État agit aussi comme conseiller du gouvernement. À ce titre, il a rendu deux avis sur les projets de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie du Covid-19.

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INSTITUTIONS

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Procédure

Avis du Conseil d’État

Coronavirus

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Il est confié au Conseil d’État, deux fonctions : conseiller et juger. En vertu de l’article 39 de la Constitution, le Conseil d’État doit rendre un avis sur tous les projets de loi, avant leur adoption par le Conseil des ministres et leur dépôt devant le Parlement.

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Ce projet de loi suspend les délais que doivent respecter les deux cours suprêmes (Conseil d’État et Cour de cassation) lorsqu’elles sont saisies d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et ce jusqu'au 30 juin 2020 en raison de l'épidémie de Covid-19.

Pour le Conseil d’État, "ces mesures n’appellent aucune observation particulière".

(Avis, CE 17 mars 2020, Projet de loi organique d'urgence pour faire face à l'épidémie du Covid-19)

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Ce projet de loi est divisé en trois titres : "le titre I organise les modalités de report du deuxième tour des élections municipales qui devait se dérouler le dimanche 22 mars" ; "le titre II instaure un dispositif d’urgence sanitaire" ; "le titre III est relatif aux mesures d’urgence économique et d’adaptation à la lutte contre l’épidémie et comporte une série d’habilitations à légiférer dans des domaines variés".

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Concernant les mesures électorales, le Conseil d’État indique que "le report du second tour d’un scrutin politique est sans précédent dans notre histoire politique contemporaine" même s’il n’est pas prohibé en soi.

Le Conseil d’ État a considéré que "eu égard aux circonstances qui le justifient, le délai de report du second tour apparaît proportionné et justifie, à titre exceptionnel, de ne pas reprendre l’ensemble des opérations électorales là où l’élection n’a pas été acquise".

De même, la prorogation du mandat de certains élus sortants en l’absence de conseil municipal complet à l’issue du premier tour se justifie au nom de l’intérêt général.

Quelques particularités sont organisées pour les communes de moins de 1 000 habitants et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Lorsque le conseil municipal n’a pas été élu au complet, le maire et ses adjoints sont élus à titre provisoires. Certains EPCI verront également cohabiter des conseillers communautaires dont le mandat a été prorogé avec des conseillers nouvellement élu. Dans ce cas, le président et ses vices-présidents sont élus temporairement.

En revanche, le Conseil d’État considère que les circonstances exceptionnelles actuelles ne justifient pas l’absence de consultation des organes statutaires pour examiner les projets de loi portant adaptation des mesures législatives dans ces territoires dans l’élaboration du calendrier des opérations électorales en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

Pour des mêmes motifs, le report des élections consulaires pour les Français de l’étranger ne saurait être admis.

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Concernant l’état d’urgence sanitaire, le Conseil d’État reconnaît l’utilité d’instaurer un nouveau régime d’exception afin de "disposer d’un cadre organisé et clair d’intervention" en cas de catastrophe sanitaire, ce que la théorie des circonstances exceptionnelles ne permet pas.

De manière général, il juge que les modalités de déclenchement et de déroulement ont été suffisamment précisée. Il propose toutefois quelques corrections :

- "de substituer au délai de douze jours prévu pour l’intervention du Parlement un délai d’un mois" ;

- "de supprimer la disposition du projet selon laquelle la loi portant prorogation de l'état d'urgence est caduque à l'issue d'un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l'Assemblée nationale, et de la remplacer par une disposition prévoyant qu’il peut être mis fin à l’état d’urgence par décret en conseil des ministres avant l'expiration du délai fixé par la loi prorogeant l’état d’urgence".

Il juge aussi inutile la disposition imposant au Gouvernement la transmission d’informations relatives à la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire.

Le Conseil d’État "propose de codifier ce nouveau dispositif dans un nouveau chapitre Ier bis du titre III de ce code, s’ajoutant au chapitre Ier relatif aux seules menaces sanitaires".

Le projet prévoit un certain nombre de mesures restrictives pouvant être adoptées par le Premier ministre : les mesures générales limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion et permettant de procéder aux réquisitions de tous biens et services.

Le Conseil d’État rajoute, à titre d’indication, l’interdiction du déplacement de toute personne hors de son domicile dans la zone géographique déterminée.

Ces mesures peuvent être exécutées d’office par les autorités administratives. Les sanctions pénales introduites ne sont pas jugées comme étant disproportionnées.

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Concernant les mesures économiques, le projet de loi habilite le gouvernement à prendre tout un nombre de mesures de soutien à la trésorerie ainsi que le versement d’aides, ou encore en matière de droit du travail et de droit de la sécurité sociale. Le gouvernement est aussi habilité pour modifier les obligations des entreprises à l’égard de leurs clients et fournisseurs, à adapter les "règles de délais de paiement, d’exécution et de résiliation prévues par les contrats publics et le code de la commande publique" ou encore "à apporter des modifications au droit des procédures collectives et des entreprises en difficulté".

Le Conseil d’État estime que ces habilitations pour adopter des mesures temporaires sont justifiées au regard du contexte de crise sanitaire.

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L’activité des juridictions et des administrations ont été aménagées. On retiendra que la modification des règles relatives au déroulement de la garde à vue, au déroulement et à la durée de détention provisoire et des assignations à résidence sous surveillance électronique ne sont admises par le Conseil d’État uniquement s’il y a des adaptations : "l’intervention à distance de l’avocat, le différé limité de la présentation devant les magistrats compétents en cas d’impossibilité de les faire intervenir au regard des exigences de la santé publique, et l’allongement des délais d’audiencement".

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Le gouvernement est habilité à légiférer dans d’autres domaines très variés tels que la garde de jeunes enfants, l’accompagnement de personnes fragiles, les droits des assurés sociaux, l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux, la continuité du fonctionnement des instances locales. Le Conseil d’État reconnaît la nécessité impérieuse de ces mesures en temps de crises.

(Avis, CE 18 mars 2020, Projet de loi simple d'urgence pour faire face à l'épidémie du Covid-19)

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LÉGALITÉ ADMINISTRATIVE

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Acte administratif

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Permis de construire

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Le Tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande d'annulation d'un permis de construire une maison d'habitation.

En cas de saisine, le juge administratif doit effectuer un contrôle de légalité de l'acte attaqué et doit notamment "s'assurer qu'une ou plusieurs voies d'accès au terrain d'assiette du projet pour lequel un permis de construire est demandé permettent de satisfaire aux exigences posées par les règles d'urbanisme".

Cette voie d'accès ouverte à la circulation publique doit être suffisante notamment pour permettre les services publics d'incendie et de secours "d'intervenir sur tout le territoire de la commune, sans que puisse leur être opposé le caractère privé des voies qu'ils doivent emprunter".

Si "les requérants soutiennent, d'une part, que l'accès au terrain d'assiette du projet nécessitait de traverser la parcelle EM700, dont la commune est propriétaire et pour laquelle les pétitionnaires ne disposent d'aucun droit de passage", il ressort du plans cadastraux que le projet est desservi d'un chemin d'exploitation.

D'autre part, contrairement aux dires des requérants, le chemin d'accès au terrain d'assiette du projet, d'une longueur de 30 mètres, dispose d'une largeur suffisante (entre 2 à 3,5 mètres) pour permettre la circulation des véhicules de secours.

Les juges administratifs d'appel ont rejeté à nouveau la requête.

(CAA Bordeaux 10 mars 2020, n° 18BX01462, Mme et M. D... c/ commune de Saint-Georges d'Oléron)

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Arrêté de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle

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La commune des Velluire-sur-Vendée a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 20 décembre 2016 par lequel les ministres chargés de l'intérieur, et de l'économie et des finances ont rejeté sa demande tendant à la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle au titre du séisme du 28 avril 2016.

Les juges administratifs d'appel, pour rejeter la requête ont tout d'abord affirmé que l'arrêté contesté n'a pas à être motivé.

Ensuite, "il ressort de l'expertise du bureau central sismologique français figurant au dossier que le séisme du 28 avril 2016 n'a atteint sur le territoire de cette commune, située à environ 40 kilomètres de l'épicentre, que le niveau III-IV de l'échelle macrosismique européenne". Ils ont donc considéré que les ministres ont fait une bonne application des dispositions de l'article L. 125-5 du code des assurances "en estimant que ce séisme ne présentait pas, en l'espèce, un caractère d'intensité anormale".

Enfin, "la commission interministérielle prévue par la circulaire interministérielle du 27 mars 1984 n'a pour mission que d'éclairer les ministres sur l'application à chaque commune des méthodologies et paramètres scientifiques permettant de caractériser les phénomènes naturels en cause, notamment ceux issus du bureau central sismologique français, les avis émis ne liant pas les autorités dont relève la décision". Il ne peut être reproché aux ministres d'avoir outrepassé l'étendue de leurs compétences.

(CAA Nantes 28 février 2020, n° 19NT02718, commune des Velluire-sur-Vendée c/ Etat)

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ICPE

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Le liquidateur judiciaire de la société ELCO PCB, relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 octobre 2018 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 juillet 2016 par lequel la préfète de Maine-et-Loire a décidé, sur le fondement des dispositions de l'article L. 171-8 du code de l'environnement, de mettre en œuvre une procédure de consignation pour un montant de 354 800 euros correspondant au coût des travaux prévus par l'arrêté de mise en demeure du 14 janvier 2016 afin de mettre en sécurité le site ELCO PCB et de réaliser un dossier de cessation d'activité.

La Cour administrative d'appel de Nantes a relevé que "les mesures envisagées par le liquidateur judiciaire se bornent essentiellement à stocker en sous-sol les produits et déchets actuellement situés au rez-de-chaussée". Et de considérer que "si le liquidateur judiciaire avait, néanmoins, prévu la réalisation prochaine d'une mise en sécurité partielle du bâtiment pour un coût de 89 704,80 euros TTC, ce dont la préfète de Maine-et-Loire a tenu compte en déduisant leur coût dans la fixation du montant de la consignation, ces mesures, qui ne portent pas sur l'évacuation et le traitement de l'ensemble des déchets, ne sont pas de nature à assurer la sécurité du site".

La juridiction administrative a rappelé que "les conditions dans lesquelles peuvent être produites puis payées les créances détenues sur une entreprise qui fait l'objet d'une procédure collective, ne font pas obstacle à ce que l'administration fasse usage de ses pouvoirs de police administrative, qui peuvent la conduire, dans les cas où la loi le prévoit, à mettre à la charge de particuliers ou d'entreprises, par voie de décision unilatérale, des sommes dues aux collectivités publiques".

La requête du liquidateur judiciaire a ainsi été rejetée.

(CAA Nantes 28 février 2020, n° 18NT04263, Me D... B... c/ préfecture de Maine-et-Loire)

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RESPONSABILITÉ

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Responsabilité administrative

Coronavirus

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Le syndicat Jeunes médecins a saisi le Conseil d’État, par la voie du référé-liberté pour demander qu'il enjoigne à l'encontre du Premier ministre et du ministre chargé de la santé de prononcer le confinement total et de "prendre les mesures propres à assurer la production à échelle industrielle de tests de dépistage".

Ce syndicat dénonce "l’insuffisance des mesures de confinement prononcées par le décret du 16 mars 2020" au regard du danger que représente le coronavirus.

Le syndicat requérant sollicite donc la Haute Cour à appliquer sa jurisprudence "Ville de Paris" qui avait reconnu que le référé-liberté était la procédure adapter en cas de mise en danger de la vie d'autrui.

En effet, c'est la première fois qu'elle considère que le droit à la vie constitue un liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (CE 16 novembre 2011, n° 353172, Ville de Paris).

Cette jurisprudence a été appliquée, par la suite, dans d'autres contextes. Ainsi, en 2013, le Conseil d’État avait enjoint le Préfet de La Réunion de prendre les mesures utiles contre les risques liés aux attaques de requins (CE 13 août 2013, n° 370902, Préfecture de La Réunion)

Sans surprise, le juge des référés a admis la recevabilité du recours.

Le juge des référés a rappelé qu'il revient au Premier ministre d'user de ses pouvoirs de police sur l'ensemble du territoire pour édicter des mesures en vue de lutter contre l'épidémie du covid-19.

En l'espèce, plusieurs mesures ont déjà été prises lesquelles ne cessent d'évoluer.

Le juge des référés estime que le confinement total ne peut s'étendre sur l'ensemble du territoire en raison notamment du ravitaillement à domicile de la population ou encore du risque de graves ruptures d'approvisionnement.

Pour lui, le problème est ailleurs : il consiste dans "l’ambiguïté de la portée de certaines dispositions" autorisant la circulation des personnes à titre dérogatoire et l'incivisme des personnes à ne pas respecter les consignes d'hygiène et de distanciation sociale.

Il enjoint donc le Premier ministre et le ministre chargé de la santé d'adopter dans les quarante-huit heures les mesures suivantes :

- "préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé";

- "réexaminer le maintien de la dérogation pour « déplacements brefs à proximité du domicile » compte tenu des enjeux majeurs de santé publique et de la consigne de confinement" ;

- "évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts, compte tenu de leur taille et de leur niveau de fréquentation".

Concernant le dépistage, les autorités étatiques "ont pris les dispositions avec l’ensemble des industriels en France et à l’étranger pour augmenter les capacités de tests dans les meilleurs délais".

(CE 22 mars 2020, n° 439674, syndicat Jeunes médecins c/ État)

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ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU SERVICE

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Missions relevant des sapeurs-pompiers

Service public

Gratuité

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Le CHU de Nice a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 septembre 2014 du président du SDIS. Cet arrêté fixe le montant de la participation aux frais d'intervention du CHU de Nice lorsque le "centre 15 " sollicite le SDIS pour réaliser une intervention n'entrant pas dans ses missions propres en vertu des dispositions de l'article L.1424-42 du code général des collectivités collectives.

Les juges du fond de première instance comme d'appel ont fait droit à cette demande.

L'article L.1424-42 prévoit que "les interventions effectuées par les services d'incendie et de secours à la demande de la régulation médicale du centre 15, lorsque celle-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés, et qui ne relèvent pas de l'article L. 1424-2, font l'objet d'une prise en charge financière par les établissements de santé, sièges des services d'aide médicale d'urgence".

Le SDIS est amené à supporter un certain nombre de missions parmi lesquelles "celles qui relèvent des secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes, y compris l'évacuation de ces personnes".

Les conseillers d'état ont rappelé "qu'il incombe aux services d'aide médicale urgente de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu'ils se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état et, à cette fin, au centre de réception et de régulation des appels, dit " centre 15 ", installé dans ces services, de déterminer et déclencher, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels, le cas échéant en organisant un transport sanitaire d'urgence faisant appel à une entreprise privée de transport sanitaire ou, au besoin, aux services d'incendie et de secours".

Et de préciser que les interventions ne relevant pas de l'article L. 1424-2 "font l'objet d'une prise en charge financière par l'établissement de santé siège des services d'aide médicale d'urgence, dans des conditions fixées par une convention - distincte de celle que prévoit l'article D. 6124-12 du code de la santé publique en cas de mise à disposition de certains moyens - conclue entre le service départemental d'incendie et de secours et l'établissement de santé et selon des modalités fixées par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de la sécurité sociale".

Les conseillers d'état ont considéré que la cour administrative d'appel n'a donc pas commis d'erreur de droit. En effet, ces dispositions ne permettent pas de régir "l'ensemble des conditions de prise en charge financière par les établissements de santé d'interventions effectuées par les services départementaux d'incendie et de secours à la demande du centre de réception et de régulation des appels lorsque ces interventions ne sont pas au nombre des missions de service public définies à l'article L. 1424-2 de ce code".

De plus, les modalités financières ne peuvent être imposées aux établissements de santé par une simple délibération du conseil d'administration du SDIS.

La requête du SDIS est rejetée.

(CE 18 mars 2020, n° 425990, SDIS c/ CHU de Nice)

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